BD : l’incroyable histoire des esclaves oubliés de Tromelin

Image de couverture de "Les esclaves oubliés de Tromelin", par Sylvain Savoia.
En 1761, un navire de la Compagnie française des Indes orientales, chargé de 160 esclaves malgaches, faisait naufrage sur un minuscule îlot de l’océan Indien. Sur les 90 rescapés, huit survivants seront sauvés quinze ans plus tard. Cette histoire fait l’objet d’une remarquable BD. 
C’est une bande dessinée fascinante que nous livre son auteur Sylvain Savoia. Dans « Les esclaves oubliés de Tromelin » (éditions Dupuis/Aire libre), le dessinateur, qui s’est rendu sur place pour travailler ses planches, relate avec précision l’histoire des esclaves malgaches laissés à l’abandon sur ce minuscule îlot de l’océan Indien en 1761. Il raconte aussi en dessins son immersion à Tromelin (territoire rattaché aux Terres australes et antarctiques françaises, les TAAF) durant une expédition scientifique à laquelle il a participé en 2008.
 

Arrachés à leur terre 

En juillet de l'an 1761, un navire de la Compagnie française des Indes orientales, « L’Utile », quitte Madagascar. A son bord, plus de 140 membres d’équipage et de passagers, ainsi qu’en fond de cale quelques 160 esclaves malgaches arrachés à leur terre. Le capitaine du bateau, Jean Lafargue, n’a qu’une envie, livrer sa « marchandise » au plus vite pour en tirer un maximum de profit. Au détriment de la sécurité, il emprunte une route inhabituelle et réputée difficile.
 
Et c’est le drame. Le 31 juillet vers 22h, le navire fait naufrage près de l’île de Sable, en plein océan Indien. Il y a des rescapés : 122 membres d’équipage et 90 esclaves, les autres, enfermés dans les cales, périssent noyés. L’île est en fait un minuscule îlot désolé de 1,7 kilomètre de long sur 700 mètres de large environ, situé à 500 kilomètres des côtes les plus proches. On n'y trouve que quelques arbustes.
 

Les rescapés découvrent finalement de l’eau potable au bout de trois jours, en creusant en profondeur. Entre-temps, pour survivre, ils boivent du vin, réchappé du naufrage. Des vivres ont  également été récupérées. Privés de boisson et d’eau pendant ce temps par l’équipage, une dizaine d’esclaves meurt de soif et d’épuisement. Les autres se nourrissent d’oiseaux et de tortues capturés sur place.

Au bout de deux mois, les marins, avec l’aide des esclaves, ont reconstruit un bateau avec tout ce qu’ils ont pu récupérer de l’épave, bois, charpente, voiles, cordages, etc. Tous les membres d’équipage blancs s’y embarquent, laissant à terre les esclaves à qui ils avaient pourtant assuré la liberté contre leur aide à reconstruire un navire. Ils leur promettent néanmoins de revenir les chercher et leur laissent des vivres pour trois mois.

Promesse jamais tenue

Mais cette promesse ne sera jamais tenue. Ce n’est qu’en novembre 1776, soit quinze ans plus tard, que le commandant de corvette Tromelin reviendra sur l’îlot, à qui il lèguera son nom. Sur les 80 esclaves laissés à leur triste sort en 1761, il ne reste que sept femmes et un bébé de huit mois, né entretemps, qui seront finalement sauvés. L’histoire des esclaves abandonnés alimentera la cause antiesclavagiste en France, et près de deux siècles et demi plus tard des expéditions scientifiques auront lieu pour comprendre comment les esclaves de Tromelin ont pu survivre et reconstituer un semblant de communauté sur cet îlot désolé de l’océan Indien, fréquemment ravagé par les cyclones. 
 

Savoia, « Les esclaves oubliés de Tromelin » - éditions Dupuis/Aire libre, avril 2015, 120 pages, 20,50 euros.