Biodiversité : la nouvelle stratégie nationale avec les Outre-mer accueillie de façon mitigée par les associations

La Première ministre Elisabeth Borne présente la stratégie nationale biodiversité 2030, à Matignon à Paris, le 27 novembre 2023.
Le gouvernement a présenté ce 27 novembre sa nouvelle "stratégie nationale biodiversité 2030" qui liste 40 mesures pour l'Hexagone et les Outre-mer. Si des associations environnementales saluent cette 3e stratégie, la plus précise des feuilles de route issues de la COP 15 Biodiversité, elles pointent plusieurs écueils et attendent surtout du concret.

Alors que s'ouvre ce jeudi 30 novembre la COP 28 à Dubaï consacrée aux changements climatiques, la France tente de concrétiser ses engagements internationaux pour la biodiversité issus d'une autre COP, la COP 15 Biodiversité, qui s'est déroulée fin 2022 au Canada.

Présentée ce 27 novembre à Matignon à Paris, la stratégie nationale biodiversité 2030 fixe les objectifs pour la décennie à venir afin d'éviter l'effondrement de la biodiversité.

3e texte du genre, il liste 40 grandes mesures déclinées en 200 actions, à mettre en place en France. S'il n'y a pas de mesures propres aux Outre-mer, certaines d'entre elles via des actions ciblées font la part belle à un ou plusieurs territoires ultramarins.

"Alors qu’ils ne représentent que 0,08 % de toutes les terres émergées, les Outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité nationale", est-il ainsi écrit dans le communiqué du gouvernement afin d'assurer que les territoires ultramarins sont "au cœur de la stratégie".

100% des récifs coralliens protégés

Sans faire de liste exhaustive, la première mesure propose de "renforcer la stratégie aires protégées pour atteindre les 10% de surface en protection forte et bien gérer les 30% d'aires protégées". Dans le détail, cela consiste à "renforcer la protection des récifs coralliens outre-mer afin que 100 % de ces derniers soient protégés", ainsi qu'à "renforcer la protection des forêts par la mise sous protection forte de 180.000 ha supplémentaires en Guyane".

Autre exemple : dans la mesure 27, il s'agit de "renforcer la protection et inverser le déclin des espèces menacées, en particulier en Outre-mer" par plusieurs actions. Parmi celles-ci :

  • "établir et réviser les listes rouges nationales et régionales et les listes d’espèces protégées" notamment parmi la flore d'Outre-mer
  • "lutter contre les mortalités accidentelles d’espèces animales sensibles", notamment dans les TAAF qui regroupent "les communautés d’oiseaux marins les plus diversifiées au monde"
  • "favoriser la cohabitation entre les activités humaines et les grands prédateurs", entre autres "réfléchir aux interactions avec les espèces de requins" à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie.
Un requin à pointe noire (photo d'illustration).

Des indicateurs précis

Bref, les Outre-mer ne sont pas oubliés, bien au contraire. Mais cette stratégie est-elle juste un effet d'annonce ou bien l'amorce de changements concrets ? Pour répondre à cette question, Outre-mer la 1ère a contacté deux associations, France Nature Environnement (FNE) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) qui ont des relais dans les territoires ultramarins ou comptent dans leurs rangs des spécialistes de nos territoires. Et les avis sont mitigés.

Premier point sur lequel s'accordent les deux associations : le texte est le plus précis des trois, avec des objectifs ciblés. Une première stratégie nationale biodiversité (SNB) avait en effet été adoptée en 2004 pour la période 2004-2011, puis une deuxième en 2011 pour la décennie 2011-2020.

Cédric Marteau, directeur de la protection de la nature à la LPO spécialisé dans les Outre-mer, donne l'exemple des "plans nationaux d'action (PNA) qui visent à préserver une ou un cortège d'espèces [...] dans un état de conservation défavorable". "Là, l'État fixe une cible : la protection de 300 espèces à l'échelle 2030, poursuit-il. Donc on aura un indicateur annuel pour mesurer année après année le nombre d'espèces qu'on a réussi à [protéger] et on verra bien si on atteint les 300."

Le Pétrel de Barau

Plus d'argent mais...

L'autre aspect positif qu'il relève, c'est qu'il y a "plus d'argent" : "Pour la première fois, il y a 264 millions € sur la table pour la biodiversité, au bénéfice en partie des Outre-mer. Donc ce sont des choses qui vont dans le bon sens", se réjouit-il.

Sur ce point, la FNE est moins enthousiaste. La stratégie "manque de moyens financiers", assure Jean-David Abel, responsable du réseau biodiversité dans l'association. Pour étayer son propos, il s'appuie sur un rapport co-publié par l'inspection générale des finances (IGF) fin 2022 qui indique "un besoin brut de 618,8 millions € en 2023" pour la mise en œuvre de la SNB. Mais sachant qu'une partie des financements étaient déjà annoncés ou prévus, les réels besoins à couvrir s'élevaient alors à 173,7 millions €, précise l'inspection.

L'autre argument de Jean-David Abel, partagé par la LPO et indiqué dans le rapport, c'est le fait que l'État verse d'autre part des subventions (aides agricoles ou destinées à l’artificialisation des sols par exemple), qui sont néfastes à la biodiversité. Celles-ci "sont au moins quatre fois plus élevées que les dépenses favorables à la préservation et à sa restauration", est-il calculé dans le document. "Donc quand d'un côté, on met quelques centaines de millions [pour la SNB], mais qu'on laisse annuellement plus de 10 milliards € dégrader la biodiversité, ça veut dire qu'on est schizophrène ou que le compte n'y est pas", tacle le responsable de la FNE.

Loupés avec l'agriculture et l'énergie

Ce n'est pas le seul message contradictoire envoyé par l'État aux associations environnementales qui pointent l'absence d'un volet agriculture. "On a loupé une occasion d'allier agriculture et protection de la biodiversité. Ça manque dans l'Hexagone, mais aussi dans les Outre-mer", regrette Cédric Marteau qui indique qu'au-delà du scandale du chlordécone, les territoires ultramarins ne sont pas épargnés par l'utilisation du glyphosate.

"Ça manque d'autant plus que les ressources en eau en Outre-mer sont très limitées, dès qu'on pollue une nappe phréatique ou une cellule d'eau potable. On voit bien la difficulté de l'eau potable aujourd'hui à Mayotte pour des raisons de sécheresse, en Guadeloupe...", liste-t-il.

L'autre aspect qui préoccupe Cédric Marteau est la transition et l'autonomie énergétique en Outre-mer. "Aujourd'hui, on est au charbon ou au fioul en fonction des îles. Il est urgent de passer aux énergies renouvelables, et là, il faut évidemment que ça se fasse dans des friches, des zones délaissées plutôt que dans des zones à forts enjeux de conservation", explique-t-il, et ce afin de protéger la biodiversité. "Or, pour le moment, on n'a pas eu cette garantie", déplore-t-il.

En Guyane, le projet du Larivot est destiné à remplacer la centrale au fioul vieillissante de Degrad-des-Cannes (visible sur cette photo).

Les défaillances de l'État

Jean-David Abel de la FNE, lui, ne voit aucune garantie dans cette feuille de route pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'elle "n'est pas arrêtée dans le droit", pointe Jean-David Abel. Cela signifie que lorsque le président de la République ou le membre du gouvernement porteur du texte partent, il y a un risque que la stratégie soit mise de côté voire jetée à la poubelle. "On a eu ça au bout de trois ans à peine avec la dernière stratégie nationale", insiste-t-il.

La seconde raison qu'il avance, c'est la difficulté de l'État à protéger l'environnement, encore plus dans les Outre-mer que dans l'Hexagone. "En France métropolitaine, on voit très bien que le droit de l'environnement est très mal respecté, quand il y a des enjeux économiques par exemple, détaille Jean-David Abel. On a partout, partout, partout des pollutions (de rivières, de fleuves, du sol) qui sont vérifiées beaucoup trop tard, dont la réparation ne vient pas, parce que l'État ne fait pas procéder à des réparations."

Or d'après les associations de France Nature Environnement dans les Outre-mer, c'est encore pire dans nos territoires. "Les préfets sont encore plus défaillants, assène le responsable du réseau biodiversité. Je ne veux pas dire qu'ils ne soient pas occupés à d'autres choses. Par exemple à Mayotte, il y a des questions sociales et sanitaires qui sont absolument majeures, et on peut comprendre que la protection d'une mangrove ne soit pas la priorité de l'État."

"En même temps, sur la longue durée, les questions de protection des milieux naturels et de la ressource en eau à Mayotte sont absolument majeures pour l'avenir même de Mayotte", nuance-t-il.

Mangrove à Mayotte

Si du côté de la FNE, on craint donc d'ores et déjà que cette "liste d'intentions" ne soit "pas suivie des faits", à la LPO, on attend de voir ce qu'il va se passer concrètement : "A minima, ce qui est rédigé doit être mis en œuvre dans les plus brefs délais", afin de freiner au plus vite l'érosion du vivant. Pour voir si concrétisation il y aura, rendez-vous dans un an lors du Comité national de la biodiversité.