Bob Marley, le dernier prophète

Dans un livre intitulé "Bob Marley, le dernier prophète" (GM éditions), le journaliste Francis Dordor, rappelle comment le roi du reggae annonçait, il y a 30 ans déjà, la  vague de révoltes qui secoue actuellement le monde. Rencontre. 

Bob Marley, le dernier des prophètes de Francis Dordor


La 1ère : Francis  Dordor, vous avez déja écrit 4 livres sur Bob Marley. Pourquoi ce dernier qui s’intitule : "Bob Marley, le dernier prophète" ?

Francis Dordor : J’ai été l’un des rares en France à accompagner Bob Marley sur les 5, 6 dernières années de sa vie au moment où il atteint l’apogée de sa carrière. Il était devenu une star planétaire. C’est un sujet que je connais bien. Ce qui me permet une lecture historique et une lecture par rapport à des phénomènes planétaires contemporains. D’où ce titre dernier prophète.

Le dernier album de son vivant s’appelle « Uprising », ce qui signifie soulèvement. Il suffit de constater  autour de soi : de Hong-Kong au Chili, de l’Algérie au Liban, de la Guinée jusqu’aux ronds-points des Gilets jaunes, c’est une vague successive de soulèvements.

La 1ère : Si Bob Marley était un  prophète, quel était son message. Le rastafarisme, l’universalisme ?

Francis Dordor : C’est le rastafarisme, la religion qu’il a épousée dans ses jeunes années… Il vient de Jamaïque. On va resituer le contexte. Il vient du  ghetto  Trenchtown à Kingston. Il est entouré des premières communautés de rastas. Il est  extrèmement pauvre, il est le rebut de l’humanité tel qu’aurait pu le décrire un Victor Hugo ou un Zola. Il est dans la  marge.

Et c’est grâce à cette religion qu’il va gagner en dignité, ce qu’il va écrire dans une chanson Rédemption song, une possibilité de rédemption au  travers de la figure d’Haïlé Sélassié qui a une importance symbolique pour cette communauté religieuse. A travers la musique, il se réalise. Et lorsqu’on vient de là où il vient forcément que l’on porte un  message. Un message qui n’est pas uniquement pour sa communauté. Grâce à la musique, ca devient un phénomène planétaire. Adopté sur les cinq continents, il acquiert une  forme de stature prophétique.

La 1ère : Quand on reprend la discographie de Bob Marley, on a l’impression de vivre sa vie…

Francis Dordor : Bob Marley, c’est une époque où la rue reprend le pouvoir. Ca arrive avec le reggae en Jamaïque, avec le punk en Grande-Bretagne. On oublie les mécanismes de l’industrie musicale. C’est avec une figure telle que la sienne que l’on se rapproche d’une réalité, celle de la Jamaïque et de tous  les coins de la planète où les inégalités engendrent de la souffrance. Il assume aussi de chanter en patois. C’est  quelque chose de complètement révolutionnaire en Jamaïque. C’est l’anglais oxfordien qui est accepté par la bonne société. Le reste c’est du rebus. Lui, il va le (patois) mettre  en chanson. Il  va libérer d’une certaine manière, culturellement et psychologiquement cette population qui jusqu’à présent a vécu sous l’emprise de la domination culturelle britannique.

La 1ère : Pourquoi, selon vous, Bob Marley explose et pas  Peter Tosh ou Bunny Wailer ?

Francis Dordor : J’ai approché les 3. Mais j’aurais du mal à dire. Cependant quand  on regarde la discographie de Peter Tosh, il n’y a pas de chansons d’amour. La force de Bob Marley c’est de jouer sur tous les plans.  Il pouvait faire des chansons d’amour  extraordinaires comme Is this love ? et de l’autre côté montrer sa part militante :Get up, Stand Up, I shot the sherrif…Voire des chansons  que pouvaient reprendre les enfants. C’était plus difficile avec Peter, et surtout Bunny dont le projet musical était clairement historique. Ca tournait autour de Haïlé Sélassié, Marcus Garvey, les slavery days. En Jamaïque, ces choses, ce passé colonial et esclavagiste, étaient clairement niées. Le reggae a brisé les chaines psychologiques et mentales. Il y a une sorte de soumission psychologique que le reggae a brisé définitivement.


La 1ère : Finalement, Bob Marley est un prophète qui a été reconnu de son vivant Et là, je fais référence au  concert de Los Angeles que vous citez où les Beatles, et les Rolling Stones se retrouvaient parmi le public ?

Francis Dordor : Oui. A l’époque, Bob Marley était une star scintillante, la star à ne pas rater. Voir un concert de Bob Marley c’était comme voir un concert des Rolling Stones au Marquee. C’était incontournable. Il y a eu Bob Dylan, Il y a eu Presley… Pour la gentry musicale, il était devenu le  personnage à ne pas rater. Je me souviens d’une tournée des Rolling Stones ou Keith Richard se présentait sur scène avec un t-shirt Bob Marley. Et à l’époque, tout le monde faisait du reggae. Les Rolling Stones, Clapton, Gainsbourg… D’un point de vue culturel, cette musique a eu une résonance considérable.
 
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