"Dans celui-là, il y a de l'œuf, du jambon, du fromage, de la saucisse et du steak haché", énumère très sérieusement Claude, debout dans son camion, qui lui tient office de cuisine. La composition de ce bokit met l'eau à la bouche, même si l'association d'autant de viandes peut donner le vertige.
Ce vendredi midi-là, le ciel est gris à Créteil. Quelques gouttes laissent présager une pluie à venir. Dans la zone industrielle des Marais, les grands entrepôts se succèdent. C'est un drôle d'endroit pour venir manger un bokit. Et pourtant, c'est ici que ce Guadeloupéen a installé son camion Délice Tropical Bokit. Juste en face de l'entreprise de logistique DHL.
Comme tous les vendredis, un petit attroupement anime cette rue déserte de Créteil, où seuls les travailleurs et les gros camions de livraison sont de passage. Les habitués se rassemblent autour du food truck de Claude. D'abord pour manger. Mais aussi pour se retrouver. Recréer un petit coin d'Antilles à Créteil. Même sous la pluie.
De la Guadeloupe à Créteil
Claude Jean, affublé d'un habit de cuisinier tout en noir et d'un tablier bleu, ne se départit de son air bonhomme que lorsqu'il se concentre en cuisine. Originaire de Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, il a débarqué en France hexagonale en 1988. "J'étais venu en vacances avec mes parents, se rappelle-t-il. Et j'ai décidé de rester." Il laisse tomber l'école. "Après, j'ai fait une formation de stage en cuisine gastronomique en Suisse."
Aujourd'hui, il travaille à Créteil, dans son camion. À l'extérieur du food truck, son ami DJ Fredo, un chauffeur de poids lourd guadeloupéen de 55 ans, est installé sur une chaise. L'homme a ses habitudes. Il adore taquiner le cuisinier. "Son bokit, il est pas bon. Mais c'est mangeable", lâche-t-il avant de s'esclaffer.
On se retrouve ici. On parle de tout et de rien. On a un super pote qui nous fait à manger, qui nous fait des super bokits.
DJ Fredo, chauffeur de poids lourd guadeloupéen
Depuis son installation en région parisienne, Claude a enchaîné les boulots de cuisinier. Avant de lancer son propre restaurant ambulant, il était chef au Carrefour de Villejuif. "Un jour, j'étais au carnaval de Paris, porte de Charenton, et j'ai vu qu'il y avait un food truck. Il y avait énormément de queue."
Son esprit d'entrepreneur lui fait dire : "Pourquoi pas ?". Et il crée son food truck antillais en 2005. Au départ, il alternait entre Chilly-Mazarin et Créteil, qui ont été les deux communes qui lui ont donné une première autorisation. Mais les clients le réclamaient et lui en voulaient de ne pas être présent tous les jours. Il décide donc de s'installer définitivement à Créteil. "J'avais deux fois plus de clients ici", justifie-t-il.
Bokits banane-Nutella
Malgré cet emplacement peu charmant, le Guadeloupéen s'est fait une clientèle. Avant, raconte-t-il, il y avait un gros entrepôt La Poste installé à côté. Beaucoup d'Antillais y travaillaient. Les odeurs de bokit venaient leur caresser les narines.
Aujourd'hui, ils sont tous là, à attendre dans le désordre qu'on leur serve leur sandwich, leur plat du jour, qu'on leur ouvre une bière et qu'on leur serve une part de gâteau Mont-Blanc. Le food truck de Claude n'est pas un lieu de passage. C'est un endroit où les gens restent, s'installent comme s'ils étaient au bar. Il n'y a pas de queue pour aller commander. Soit il faut l'appeler quelques minutes avant de passer récupérer sa nourriture. Ou bien il faut jouer de ses coudes pour se frayer un passage jusqu'au comptoir. La foule d'une quinzaine de personnes grossit. On gare la voiture près du food truck et on allume les enceintes pour mettre de la musique antillaise.
Claude, lui, est imperturbable. "Lui, je l'appelle bouffe-tout, pointe-t-il du doigt, en désignant un de ses clients. Parce que, à chaque fois qu'il vient, je fais des bokits aux goûts différents. J'ai même fait des bokits banane-Nutella !".
Un jour, il est venu et il m'a dit : "Claude, j'ai faim". Je lui ai dit que j'allais lui faire un bokit Obama. J'ai fait un bokit avec œuf, jambon, fromage, saucisse, steak haché et avec des frites. Je lui ai dit : "Si Obama est élu, on retire les frites et ça sera un bokit Obama". Un jour, les clients m'ont demandé : "Pourquoi lui, et pas nous ?". Depuis, il est sur la carte.
Claude Jean, propriétaire d'un food truck à Créteil
Pendant qu'il nous raconte ses anecdotes sur ses clients, le Guadeloupéen, amateur de danse salsa et de zumba, étale la pâte à bokit qu'il a préparé chez lui sur son plan de travail. Il la malaxe, la tape et l'étale à l'aide de son rouleau. Puis la plonge dans de l'huile à 180 °C. Le bokit gonfle. Il la sort de la friteuse, coupe le pain en deux et ajoute salade, tomates et oignons, des œufs, de la saucisse et du gruyère. Le repas est prêt. Bon appétit !
-
Pendant une semaine, Outre-mer La 1ère est partie à la rencontre des Ultramarins de Créteil
À l'approche du 10 mai, date de commémoration de l'abolition de l'esclavage dans l'Hexagone, Outre-mer La 1ère vous emmène dans le Val-de-Marne, qui compte une des plus grosses communautés antillo-guyanaise de France. Food-truck de bokits, groupe de carnaval, écrivaine... Découvrez celles et ceux qui donnent un air d'Outre-mer à Créteil en cliquant sur ce lien.