À la rentrée, Valérie-Ann Edmond-Mariette va changer de bureau. Il sera à Paris, à quelques minutes de la tour Eiffel, au sein du musée du Quai Branly. À raison de trois jours par semaine minimum, la Martiniquaise va pouvoir profiter de ce cadre "extraordinaire et fantastique" pour rédiger sa thèse. Un privilège qu'elle a acquis il y a peu, lors de sa désignation comme lauréate de la bourse d'études doctorales de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et le musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
"Je suis très reconnaissante, c’est un véritable honneur pour moi", confie la doctorante en histoire. Depuis 2021, cette bourse est remise à un doctorant "spécialisé sur l'esclavage colonial, ses héritages et conséquences". Intitulée Le son de la mémoire de l’esclavage. Musique et politique dans les Antilles entre 1956 et 1998, sa thèse semblait taillée pour le rôle.
"C’est vraiment l’endroit idéal pour un sujet comme le mien", s'enthousiasme la chercheuse. Grâce à cette bourse, Valérie-Ann Edmond-Mariette pourra bénéficier d'un soutien financier. Depuis le début de son travail en 2019, la Martiniquaise finance sa thèse avec ses propres fonds. Ce soutien va lui permettre de passer à la rédaction, tout en étant "sereine" sur sa situation économique.
Un sujet inédit
Cette bourse est aussi un porte d'entrée privilégiée dans le monde universitaire avec un accès facilité aux archives, à des séminaires, à la médiathèque ou tout simplement au carnet d'adresses de ces deux institutions. Mais la trentenaire ne perd pas de vue la plus-value de son travail.
L’idée, c'est à la fois de pouvoir m’apporter un soutien, mais en même temps que ma recherche puisse enrichir ce qu’ils sont en train de construire. Mon sujet qui pense les mémoires de l’esclavage dans les musiques en Martinique et en Guadeloupe, personne n’a jamais fait ça.
Valérie-Ann Edmond-Mariette, doctorante en histoire
Cette idée de thèse, la Martiniquaise l'a eu lors de ses recherches sur le bèlè et la biguine. Elle découvre des chansons qui abordent l'esclavage, un sujet encore étiqueté comme tabou dans la société et l'historiographie. "Comment explique-t-on le fait qu’il y a des chansons qui abordent la thématique à cette période-là ? Et comment, en ce sens, ces musiques jouent-elles un rôle mémorial musical ?"
Des sources très variées
À travers sa thèse, Valérie-Ann Edmond-Mariette tente de répondre à ces questions. Pour cela, elle consulte pendant des années entières des archives, sous des formes très variées. Articles de presse quotidienne, sources institutionnelles, émissions de télévision, concerts, clips ou encore entretiens avec des acteurs de l'industrie musicale antillaise.
Dédé Saint-Prix, Gertrude Seinin, Philippe Lavil... Depuis cinq ans, la chercheuse enchaîne les entretiens avec ces grands noms de la musique antillaise. Certains sont plus accessibles que d'autres, mais ils ont tous "joué le jeu", se réjouit la doctorante. Par exemple, la Martiniquaise peut compter sur les conseils de Jocelyne Béroard.
Jocelyne Béroard est vraiment dans la transmission, dans le partage. Dès qu'elle voit des choses, elle me les envoie. Je lui suis très reconnaissante parce que grâce à elle, j'ai pu échanger avec Jacob Desvarieux un an avant sa mort.
Valérie-Ann Edmond-Mariette
Un corpus de 34 chansons
Mais la matière principale de sa thèse reste les chansons. Sur un corpus initial de 107 œuvres musicales, la Martiniquaise s'est restreint à 34 chansons. Sans limite de style musical, Valérie-Ann Edmond-Mariette a basé sa sélection sur deux critères : que l'auteur, compositeur ou interprète s'identifie comme Guadeloupéen ou Martiniquais, et que la chanson aborde la thématique de l'esclavage.
Une fois cette sélection faite, la chercheuse s'est appuyée sur sa formation de musicienne pour analyser et décrypter ces chansons. "Quels instruments sont utilisés, quelles sont les paroles, est-ce que ces chansons sont chantées en concert, est-ce qu'elles font l'objet d'un clip ?", retrace-t-elle.
L'étape redoutée de la rédaction
Après cinq ans de recherche et d'analyse, il est temps de passer à la rédaction de la thèse. "C’est une étape qu’on redoute beaucoup, nous les chercheurs", précise Valérie-Ann Edmond-Mariette qui craint un décalage entre ses projections et le résultat final couché sur le papier. Pour se donner du courage, la chercheuse s'appuie sur les mots de son premier directeur de thèse, l'historien antillais Jean-Pierre Sainton, décédé entre temps : "Une thèse, il faut savoir la commencer, mais surtout, il faut savoir quand la finir."
"L’heure est venue d’arriver au dénouement, donc on retrousse les manches et on y va", lance Valérie-Ann Edmond-Mariette, très motivée. Initialement basée en Martinique, la doctorante doit "migrer" à Paris pour pouvoir bénéficier des avantages de sa bourse. Ce n'est pas un problème pour la Martiniquaise qui s'était "partiellement préparée" et qui compte profiter au maximum de cette opportunité : "C’est énorme, donc on ne réfléchit pas à deux fois, et on fonce."