L'appartement parisien de Vincent Frédéric-Colombo regorge de bibelots rappelant son héritage antillais : un chapeau de paille accroché au mur, un tableau d'une case antillaise, du rhum et des sirops sur une étagère. Éparpillées dans le salon, des pièces de sa toute nouvelle collection, Rhizome and Dystopia.
La première collection du label C.R.E.O.L.E, créé par le Guadeloupéen, invite les Caribéens à se défaire de la “rigidité identitaire”. Réexamination de la société créole qui dépasse les clichés et les attentes, déconstruction de l’identité antillaise à travers un prisme queer... La collection est un travail introspectif incarné par le vêtement. De fait, le nom de la marque est un acronyme : “Conscience Relative à l'Émancipation Outrepassant Les Entraves”.
Repenser l'imagerie antillaise
Vincent Frédéric-Colombo a grandi à Saint-Claude en Guadeloupe. Une enfance faite de “souvenirs et de premiers questionnements sur l’identité” bercée par la sensibilisation à un héritage culturel autour de l’histoire des Amérindiens et de l’esclavage.
A l'adolescence, entre la découverte de son homosexualité et de la culture créole, il poursuit sa réflexion autour de l’identité. Réflexion que Vincent Frédéric-Colombo explore encore aujourd'hui dans son label C.R.E.O.L.E.
Le créatif n’en est pas à son premier projet. Il est co-fondateur de LA CREOLE, le collectif parisien qui organise des soirées mêlant sons caribbéens du carnaval et du dance-hall, culture électronique et voguebeats de ballroom. Cette fusion culturelle s'inspire de la "créolité", terme évoquant la rencontre des cultures, qu'on retrouve aussi à travers le vêtement dans C.R.E.O.L.E.
Le designer évoque d'ailleurs, souvent, l'importance du concept de "créolisation", théorisé par l'écrivain martiniquais Édouard Glissant. La "créolisation" décrit comment, de manière individuelle, tous nos échanges et rencontres nous enrichissent continuellement. Selon Vincent Frédéric-Colombo, on peut "construire notre identité comme on le souhaite", sans jamais se figer.
Une collection antillaise et queer
Vincent Frédéric-Colombo caractérise sa réflexion autour du vêtement et de l'identité antillaise comme une "lutte de la déconstruction" : déconstruire pour découvrir qui nous sommes, pour arriver à se reconnaître.
Ce travail d'introspection, il l'attribue à la "culture queer qui prend certaines thématiques pour les pousser plus loin". Le terme "queer" est un mot anglais signifiant "étrange" ou "bizarre", aujourd'hui utilisé pour désigner les personnes appartenant à la communauté LGBT+.
Le travail du crochet sur des pièces de la collection – un pull, un pantalon et un jockstrap (un slip qui laisse paraître les fesses) – évoque les claustras des maisons créoles traditionnelles, mais aussi des détails inspirés par l'architecte Ali Tur. Lorsque le créateur se saisit du tissus pour montrer la sophistication du motif, il mentionne calmement les quelques cinquante heures de travail que prennent la création d'une seule pièce.
Mode et politique
Vincent Frédéric-Colombo a intitulé sa première collection Rhizome and Dystopia. Le "rhizome" décrit les origines multiples que recèlent les Antilles, la société créole qui a des "racines de toutes parts". Quant à l'aspect dystopique, il s'applique au fonctionnement des communautés créoles, qui, pour le créatif, restent "enfermées psychologiquement dans la colonisation".
Des t-shirts qui reprennent les étiquettes du Kepone et une chemise arborant des charaçons noirs, autant de motifs pour "visibiliser le scandale du chlordécone", problématique qui affecte encore aujourd'hui les populations antillaises. Parmi les pièces de prêt-à-porter de la collection figure un t-shirt arborant "Je ne veux pas mourir sans Taubira présidente" en anglais. Vincent Frédéric-Colombo parle avec passion de la politicienne guyanaise, qu'il érige en "icône pop de la culture créole".
Parmi ses pièces phares, une est inspirée de l'histoire contemporaine des Antilles : l'ensemble workwear rouge-jaune-vert créé sur le modèle des uniformes de la SNCF à l'époque du BUMIDOM. Sur cette tenue, s'associent à la fois l'esthétique rastafari et panafricaine des coloris à la silhouette d'uniformes d'Antillais devenus ouvriers dans l'Hexagone.
À la mention de futurs projets, le designer évoque avec un sourire timide sa recherche d'investisseurs, aux Antilles comme à l'internationale, afin qu'il puisse créer de nouvelles collections.
Retrouvez Vincent Frédéric-Colombo interviewé par Kenza Cissé :
Interview de Vincent Frédéric-Colombo sur C.R.E.O.L.E