Il a fière allure le Marité. Cet ancien bateau de pêche est l’unique rescapé en France des terre-neuviers à voile français. Un emblème de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve qui a marqué l’histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, au large du Canada. "Cette épopée de la grande pêche a fait vivre nombre de familles de marins des deux côtés de l’Atlantique, souligne Bernard Briand, le président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon. Si l’on fait de la généalogie, toutes les familles de l’archipel ont au moins un ancêtre normand. Nombreux ont été ceux qui ont débarqué sur nos côtes depuis le pays de Granville, l’Avranchin, Saint-Jean-le-Thomas ou Genêts pour s’y installer".
Selon Gérard D’aboville, le président de la fondation du patrimoine maritime et fluviale, qui a œuvré pour le rachat du Marité, "ce bateau est le dernier témoin de ce qui fut la plus grande aventure humaine maritime de tous les temps". Ce navire est aussi "le symbole du métier extrêmement dur que fut celui des Terres-Neuvas pendant quatre siècles, ajoute Thierry Motte, responsable de la communication du Marité au département de la Manche. En quatre siècles de pêche dans les zones de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon, il y a eu 40 000 morts. C'était le bagne de la mer".
1Histoire d'un emblème
Le Marité a été construit en 1921 à Fécamp et béni le 24 juin 1923 par l’abbé Lecadre. Ce trois-mâts goélette doit son nom à Marie-Thérèse, la plus jeune fille de l’armateur Charles Le Borgne et la marraine du bateau. Fait rarissime, ce nom suivra le navire toute sa vie, malgré les changements successifs de propriétaires. Construit pour les bancs de Terre-Neuve, il a effectué sa première campagne de pêche le 11 mars 1924. Le Marité a mené cinq campagnes de pêche entre 1924 et 1929, chargeant pour chacune d’elles entre 100 et 160 tonnes de morue. "La campagne de 1928 a été particulièrement marquante, précise Thierry Motte, car il y a eu malheureusement une collision entre le Marité et le Saint-Clément, un terre-neuvier de Saint-Malo. Le Saint-Clément a coulé et le Marité a récupéré 25 naufragés. Mais, malheureusement, il y en a un qui a disparu. Le Marité a dû très vite faire route vers Saint-Pierre pour débarquer les naufragés et effectuer des réparations importantes pendant 20 jours". Au retour de sa cinquième campagne, le bateau trop petit pour être rentable est désarmé.
En 1930, le Marité est vendu à des Danois. En 1940, l’épopée se poursuit, le navire est réquisitionné par les Américains pour le transport de marchandises vers l’Angleterre. Il échappe miraculeusement aux mines flottantes et à l’aviation ennemie. En 1946, il est racheté par une coopérative ouvrière et reprend du service dans la pêche à la morue. Huit ans plus tard, il est revendu. À la fin des années 70, deux jeunes Suédois font l’acquisition du Marité. Après plusieurs aventures, le Marité est racheté en 2003 par un groupement d’intérêt public français constitué de plusieurs collectivités normandes. Il devient le temps d’une saison le plateau de l’émission Thalassa sur France 3.
2 Pas de retour à Saint-Pierre-et-Miquelon
Depuis 2012, le Marité embarque des passagers au départ du port de Granville. Il mène une vie pas si paisible que ça. En 2022, le Marité a accueilli 3800 passagers à son bord. Il participe à de grands événements maritimes : Tonnerres de Brest et Douanenez, Armada de Rouen, route du Rhum, transat Jacques Vabre… Mais, il ne s’aventure jamais bien loin. Il peut effectuer des voyages en Espagne ou en Europe du Nord, mais le Marité ne reverra pas les eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. "C’est une vieille dame qui a un siècle, souligne Thierry Motte, et de là à prendre l’océan, on lui ferait prendre un risque inutile. Ce bateau, on le préserve. On veut le choyer et le dorloter le plus possible pour le mener le plus loin possible dans sa durée de vie".
Et, pour le dorloter, le département de la Manche n’a pas trouvé mieux que de lui organiser un anniversaire avec tout un week-end de festivités. Le programme est bien rempli. Une délégation de onze personnalités de Saint-Pierre-et-Miquelon est attendue. Bernard Briand, le président du Conseil territorial fait le voyage à Granville ainsi que le sénateur Stéphane Artano et le député Stéphane Lenormand. Une chanteuse de Saint-Pierre-et-Miquelon, Alexandra Hernandez, sera sur scène de dimanche à 14h30.
"A Saint-Pierre-et-Miquelon, il y a une île qui s’appelait l’île aux chiens, aujourd’hui dénommée l'ile aux marins, bien connue localement, ajoute Thierry Motte. Cette ile était essentiellement habitée par des pêcheurs de la région granvillaise et leurs familles. Quand on regarde les noms sur les tombes du cimetière, on retrouve les mêmes noms qu’au cimetière de Granville".
Le responsable de la communication du Marité au département de la Manche note que des échanges ont lieu entre le musée de l’arche de Saint-Pierre-et-Miquelon et celui de Granville. Sur le plan économique, un projet avec une écloserie de homards non loin de Granville et l’archipel pourrait voir le jour. "Pourquoi ne pas travailler ensemble sur l’environnement ? ajoute Thierry Motte, car Saint-Pierre-et-Miquelon est frappé par le phénomène de l’érosion des cotes liée à la montée des eaux et des tempêtes, tout comme le département de la Manche. Il y aurait peut-être à apprendre des deux expériences d’un bout à l’autre de l’Atlantique pour accompagner sur le plan social et prévenir ce fléau en l’anticipant".
Grâce au centenaire du Marité, dernier vestige d’une époque révolue, le département de la Manche entend "retrouver des liens naturels que les ancêtres avaient avec Saint-Pierre-et-Miquelon et construire des projets d’avenir".