"Les soulèvements insulaires : insurrections et résistances populaires". Le titre de ce ciné-débat, organisé lors du Festival international du film insulaire de Groix (Fifig) en Bretagne fin août, en disait long.
Il faut dire que le Fifig, bien qu'assez peu connu du grand public, a l'habitude de donner la parole aux habitants des îles et de mettre en lumière les problématiques insulaires. C'est même le cœur du festival né en 2001 sur une île du Morbihan, Groix, et qui a mis à l'honneur à plusieurs reprises les Outre-mer comme Les Marquises en 2001, Saint-Pierre et Miquelon en 2002, ou encore la Nouvelle-Calédonie en 2011.
Les Outre-mer encore une fois étaient présents à cette 23e édition puisqu'était invité le comité Solidarité Kanaky Lorient pour parler de la situation en Nouvelle-Calédonie. Et les deux documentaires mis en regard lors de la projection étaient aussi ultramarins : d'un côté, Terla Ta Nou, un film réalisé par Cécile Laveissière et Jean-Marie Pernelle qui raconte l'histoire du dernier rond-point tenu par les Gilets jaunes au Tampon à La Réunion ; de l'autre, 44 jours de Martine Delumeau, en référence aux 44 jours de grève générale qu'a vécu la Guadeloupe en 2009.
Ce dernier a été déniché par Laodice Kolk, en charge de la programmation du festival. "Le film de Martine [Delumeau] aborde la question [de la grève de 2009] avec une telle justesse, avec une utilisation des archives qu'on trouve tellement importante, que vraiment, ça a été une évidence de le programmer dans le cadre de ce ciné-débat", explique-t-elle. Au point qu'elle a conseillé le documentaire à son collègue en charge de la compétition, qui l'a sélectionné à son tour : "C'était un peu notre chouchou !", souffle Laodice.
"J'ai eu le frisson"
Pour comprendre ce qui a séduit les programmateurs, il faut revenir sur la genèse de 44 jours. Originaire par ses parents de Guadeloupe, de la région entre Morne-à-l'Eau et Basse-Terre, Martine Delumeau est née et a grandi dans l'Hexagone. En 2009, lorsqu'éclate la grève générale, elle suit les événements via les émissions politiques, "à distance".
Je me nourrissais de ce qui se passait mais c'était parce que j'étais simplement dans la position d'être originaire de la Guadeloupe, et non pas avec ce sentiment d'appartenance qui part du ventre.
Martine Delumeau
À l'époque, elle se souvient être "contente qu'il y ait cette grève avec les revendications qui allaient au-delà de 200 euros [d'augmentation pour les bas salaires, l'une des réclamations du mouvement, ndlr] et qui englobaient tous les domaines de la société, que ce soit la culture, l'identité, l'écologie, l'économie, le chômage, etc."
Mais lorsqu'elle fait un séjour sur l'archipel cinq – six ans plus tard avec ses enfants et qu'elle discute avec ses cousines, elle comprend qu'elle est passée "à côté d'un peuple". Elle cherche alors à regarder des images d'archives "uniquement tournées par les Guadeloupéens". "C'est ça qui était ma première demande, c'était un regard de l'intérieur", insiste la réalisatrice.
En voyant ces images, en voyant le monde qu'il y avait, mais aussi l'imaginaire, la créativité, que ce soit à travers les chants, la manière de marcher, la manière de revendiquer, que ce soit à travers cette langue qu'est le créole, c'est là où j'ai eu le frisson et que la nécessité de faire ce film est née.
Martine Delumeau
"Comprendre le souffle" de 2009
Pendant huit ans, Martine Delumeau récolte donc des archives et part tourner en Guadeloupe où elle filme des entretiens avec sa famille qu'elle interroge, "pour comprendre le souffle" qu'il y a eu en 2009.
De ces échanges, elle tire plusieurs réflexions. D'abord "qu'il y a une prise de conscience de ce que notre terre produit, ce que nous sommes. Nous pouvons en être fiers. Et de se dire que toutes les solutions ne peuvent pas venir de l'Hexagone, mais qu'à l'intérieur même du territoire, du péyi comme ils disent, eux-mêmes ont aussi une part de solution."
La réalisatrice s'interroge aussi sur la façon dont "le discours dominant peut être intériorisé", à tel point qu'''on en arrive à ne pas s'aimer, [...] à avoir honte de soi." Elle donne l'exemple d'une séquence où sa cousine lui explique : "Aujourd'hui, 2009 nous permet de dire 'Je suis noire, et alors ? Je suis Guadeloupéenne, et alors ? J'ai les cheveux crépus... On ne se cache plus !'".
"Un peuple qui se soulève et s'unit"
Au gré du film, des archives et de ses entretiens, elle raconte "ce sentiment d'appartenance qui naît" en elle : "C'est mon peuple." Pas question pour autant de s'approprier le mouvement : "C'est toujours mon regard de quelqu'un qui ne vit pas sur l'île, ça, c'est très important."
Que la réalisatrice assume sa place de non îlienne et mette "autant les archives au centre", c'est ce qui a plu aux programmateurs du festival du film insulaire. Des archives nombreuses à travers lesquelles Martine Delumeau montre entre autres le décalage entre l'État et le peuple lors des négociations retransmises en direct. Enfin, elle donne surtout à voir "la beauté [d']un peuple qui se soulève et qui s'unit", résume Laodice.
Une beauté qui a aussi touché le jury puisqu'il a décerné à 44 jours le prix principal du Fifig, L'Île d'Or, le 25 août dernier à l'issue du festival. "C'est formidable et c'est la cerise sur le gâteau, se réjouit la cinéaste. Parce qu'au-delà même du prix, il y a aussi la réaction des festivaliers après les projections. Il y avait des commentaires très chaleureux, très élogieux, et je voyais bien que cette histoire touchait beaucoup de gens." Une histoire où l'universel rejoint l'intime.