Cent ans après le Goncourt, "Batouala" de René Maran entre en scène

Lecture publique de "L'incroyable destin de Batouala" d'après le roman de René Maran
"Batouala", le roman pour lequel le guyanais René Maran s’est vu décerner le Prix Goncourt en 1921 est enfin (!) adapté et mis en scène pour le théâtre. Un projet qui s'est tissé notamment entre Centrafrique et Guyane avec, en filigrane, des sujets toujours d’actualité, selon ses initiateurs.

Comme un avant-goût - ou un galop d'essai -, une lecture de la pièce adaptée de Batouala s’est donnée lundi 8 novembre, à la Cité Internationale des Arts à Paris. Le lieu ne doit rien au hasard. C'est là que, depuis quelques semaines, Vincent Mambachaka, metteur en scène originaire de la République Centrafricaine, est en résidence, entre autres pour monter, répéter et élaborer ce qui sera au final un spectacle : L’incroyable destin de Batouala, donnant ainsi chair au roman centenaire de l’écrivain guyanais - mais né en Martinique - René Maran. Roman pour lequel il reçut en 1921 le prestigieux Prix Goncourt, ce qui le distinguera dans l’Histoire comme le premier auteur noir à se voir décerner ce prix (mais l'écrivain déplora que, sans cesse, on le renvoie à ce "statut" de "premier Goncourt noir"...). 

Image de René Maran dans "L'incroyable destin de Batouala"

Une production entre trois continents

L’histoire se déroule dans le pays banda et raconte l’histoire du chef Batouala, d'un côté confronté aux administrateurs blancs coloniaux, de l'autre trahi par son protégé qui tente de séduire son épouse. Décidé à se venger en profitant de la grande chasse organisée tous les ans, il précipitera sa propre fin...

René Maran imagina ce récit alors qu’il était en poste en Oubangui-Chari, alors territoire français pour lequel il avait une charge de fonctionnaire colonial, d’administrateur. Si le texte a pu à la fois bousculer et séduire le jury du Goncourt, c’est bien pour l'entrelacs mêlant récit épique dans les colonies et audacieuses saillies autour du colonialisme, sur le rapport entre l’homme noir et l’homme blanc, entre le dominé et le dominateur.
Il montre aussi, à côté de superbes descriptions des paysages mais loin de l’exotisme en vogue en ce début de 20ème siècle, que l’homme et la femme noirs peuvent être - et sont - de vrais personnages, avec des pensées, des idées, des sentiments, des mots, un verbe bien à eux provenant d’hommes et de femmes dans la pleine acceptation de ces termes. Pas des objets. Pas des enfants à materner. Non, des hommes et des femmes propres et prompts à prendre leur destin en main - même s’ils ne sont pas en capacité de le faire, enserrés dans le corset contraignant de la colonisation.

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Des arguments forts

C’est cela que Vincent Mambachaka a souhaité souligner d’ores et déjà dans la mise en forme entourant la lecture de ce spectacle. Auparavant, premier temps : adapter le roman. C’est l’auteur Caya Makhélé qui s’y attellera, une libre adaptation où René Maran lui-même devient personnage de la pièce. En parallèle et avant d’en arriver à la distribution et au travail de répétition, il a fallu élaborer et bâtir le projet qui a vu, côté Afrique, les forces culturelles de Centrafrique, du Congo, de la République Démocratique du Congo et du Cameroun s’unir. Et Maran auteur venu des Outre-mer oblige, est venue s’inclure l’idée d’y associer la Guyane mais aussi la Martinique et Paris, ce qui donne une ampleur quasi-internationale à ce spectacle ! 

Vincent Mambachaka trouvera en Guyane un écho favorable auprès d’une autre metteuse en scène et comédienne : Odile Pedro-Leal. Elle fait partie de la distribution et contribue aussi à la mise en œuvre de la création de ce spectacle sur le territoire guyanais via sa compagnie Grand théâtre itinérant de Guyane, dans un premier temps sur la scène de l’Encre à Cayenne pour deux dates et si tout va bien, des représentations assurées dans plusieurs communes de Guyane.

Une distribution entre Afrique et Outre-mer 

Dix comédiens ont donc été sélectionnés parmi l’actorat des communautés africaines et ultramarines et devraient donc se donner la réplique et danser et chanter sur scène. Dix comédiens dont les Guyanais Odile Pedro-Leal et Jean-Marc Lucret et la Guadeloupéenne Irène Bicep (tous trois vus récemment dans la pièce Bernarda Alba de Yana) représentant, par leurs présences, les origines créoles de l’auteur de Batouala.
Diversité parmi les comédiens, diversité dans les genres (narration, dialogues, danse, chants… et du slam comme un écho moderne aux questions posées il y a cent ans par René Maran !), diversité de l'expression : Vincent Mambachaka a, par exemple, introduit quelques répliques en créole.

Lecture publique à la Cité Internationale des Arts à Paris, le 8 novembre 2021.

Des diversités au service d’un message culturel et politique toujours d’actualité et qu’il est urgent de faire entendre, en particulier en France, assène Vincent Mambachaka. La France qui dans cette année 2021, n’a pas jugé opportun de se saisir du message fort contenu dans l’œuvre de René Maran, poursuit-il encore, ni n’a jugé bon de souligner d'une façon ou d'une autre l’importance que représente l’attribution de ce Goncourt à un écrivain noir, il y a un siècle.

Échanges avec V. Mambachaka et O. Pedro Leal

Vincent Mambachaka nous parle de façon directe dans un double entretien avec Odile Pedro Leal. Ensemble, et avant de s'envoler vers Cayenne, ils évoquent tout le travail de représentation qu’impose Batouala, l'adaptation signée Caya Makhélé mais aussi les enjeux et l’importance symboliques d’un tel spectacle pour la Guyane, les Outre-mer, pour le continent africain et pour la France. Écoutez : 

Entretien avec Vincent Mambachaka et Odile Pedro-Leal

Après la lecture qui s'est tenue à Paris, le spectacle « L’incroyable destin de Batouala » sera créé les 19 et 20 novembre sur la scène de l’Encre à Cayenne (Guyane), avant une tournée dans les communes guyanaises.