Chlordécone: des avocats contestent la prescription et portent plainte à la Cour de justice de la République

Plantation de bananiers en Guadeloupe à Capesterre-Belle-Eau en 2012

Deux avocats souhaitent porter plainte auprès de la Cour de justice de la République. Ils contestent la possible prescription des faits dans l'affaire du chlordécone aux Antilles.

Des avocats ont contesté jeudi auprès des juges d'instruction chargés d'une enquête sur l'empoisonnement des Antilles au chlordécone la possible prescription des faits et entendent déposer une plainte à la Cour de la justice de la République (CJR), a appris l'AFP vendredi auprès d'eux.

Me Rachid Madid et Olivier Tabone, avocats de l'Association médicale de sauvegarde de l'environnement et de la santé (Amses), ont confirmé à l'AFP l'information de Libération selon laquelle ils ont déposé un mémoire auprès des juges afin de contester l'analyse juridique de ces derniers sur la question de la prescription, en se basant sur des "points de procédure, de jurisprudence et d'évolution du droit" en la matière. Ils ont également demandé que soit retenue l'infraction d'"homicide
involontaire
".

Écoutez Me Rachid Madid et Me Olivier Tabone, interrogés par Thierry Belmont :

Me Rachid Madid et Me Oliver Tabone

 

Dépôt des plaintes pour empoisonement en 2006

"Nous avons reçu un accueil très favorable" de la part des juges, ont estimé les avocats. Dans ce dossier instruit depuis maintenant 14 ans par le pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, les juges d'instruction ont signifié mi-janvier à plusieurs parties civiles leur analyse selon laquelle les faits seraient dans leur grande majorité prescrits.

Selon le compte-rendu de certaines de ces parties civiles à la presse, les juges d'instruction ont également fait savoir que des preuves avaient disparu. L'analyse a été récemment appuyée par le procureur de Paris dans un entretien au quotidien France Antilles : "la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrite" dès le dépôt des plaintes en 2006 pour empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, a assuré mi-mars Rémy Heitz.

En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéenne avaient déposé trois plaintes pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible. Une nouvelle grande mobilisation est prévue le 10 avril en Martinique pour dénoncer un possible non lieu, dans ce dossier qui a déjà fait l'objet de grandes mobilisations aux Antilles.

90% de la population adulte contaminée aux Antilles

Les deux avocats ont également annoncé leur intention de déposer une plainte vendredi contre plusieurs anciens ministres auprès de la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger les actes des membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions.

Ils leur reprochent d'avoir "prolongé l'autorisation d'utilisation du chlordécone" et signé des arrêtés, notamment en 2005, qui autorisaient des résidus de chlordécone dans l'alimentation avec des seuils tolérables" d'après eux bien trop élevés.

Le chlordécone, un pesticide interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.

Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.