Christiane Taubira : "J’aime les poètes, ils me dépannent et ils me sauvent" #MaParole

Christiane Taubira
Elle vit désormais principalement en Guyane, mais voyage beaucoup. Sollicitée par des associations, des salons, des festivals, l’ex-ministre de la Justice conserve un agenda… de ministre ! De passage à Saint-Laurent du Maroni pour le FIFAC dont elle préside le jury, elle a accepté de retracer son parcours dans #MaParole.

Pour entrer en contact avec Christiane Taubira, ce n’est guère simple. L’ancienne ministre croule sous les sollicitations. Une vraie rock star ! Et puis, elle n’aime guère les longues interviews dans lesquelles on parle d’elle, de son parcours, de son histoire. Dans le passé, une journaliste en a fait les frais. Caroline Vigoureux a écrit la seule biographie de Christiane Taubira, mais cette dernière n’a jamais voulu la rencontrer. Le livre s’intitule donc Le mystère Taubira.

1La valise remplie de livres

Christiane Taubira est née à Cayenne le 2 février 1952. Sa mère Bertille qui a commencé sa carrière à l’hôpital en faisant le ménage, a progressivement passé le diplôme d’aide-soignante puis d’infirmière. Un exploit sachant qu’elle a eu onze enfants. Le père de Christiane Taubira, Georges, était épicier à Cayenne. Et dans #MaParole, Christiane Taubira raconte qu’elle n’éprouvait aucun plaisir à aller le voir un week-end sur quatre. "Il ne faisait pas d’effort pour nous accueillir. On sentait que pour lui, c'était une corvée" se souvient-elle.

La famille de Bertille habite d’abord dans une maison à Cayenne qui donnait sur la rue des Trois cases, puis la famille déménage boulevard Voltaire. Christiane Taubira est scolarisée un temps chez les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, à Cayenne. "Maman avait fait le choix pour ses filles de l’école privée et payante (…) C’était vraiment un sacrifice. Ce que j’ai compris après car je n’aimais pas être l’objet d’un sacrifice", se souvient-elle. Elle se rappelle aussi de la magnifique bibliothèque de l’établissement et de l’épouvantable sœur Agnès.

À la maison, Christiane Taubira tombe très jeune sur une valise remplie de livres. Un véritable trésor. Elle commence à s’emparer de romans puis elle finit par prendre la valise entière qu’elle cache sous son lit. Elle se met à dévorer ces livres tombés du ciel. Dans son essai Baroque sarabande, elle dresse la liste des auteurs qu’elle a ainsi pu découvrir : "Balzac, Hugo, Flaubert, Dumas, Stendhal, Verne, Zola, Dickens, George Sand, Madame de Sévigné, Agatha Christie, Charlotte Brontë, mais aussi Gide et Mallarmé, mais aussi Gorki, Lanza del Vasto, et Corentin et l’île aux oiseaux".

Bertille décède à l’âge de 49 ans. Christiane Taubira n’a que 16 ans. Le décès est un cataclysme pour la fratrie de onze enfants. Malgré tout, la future ministre poursuit sa scolarité. Elle figure même parmi les leaders d’un mouvement de grève au lycée pour réclamer plus d’ouverture au monde dans l’enseignement ainsi que l’apprentissage de langues voisines telles que le portugais. "Je pouvais m’impliquer plus que les autres. Les autres étaient un peu plus bridées. J’ai eu un rôle particulier, car j’étais dans une situation familiale particulière", se souvient-elle.

2"Le bonheur absolu"

Elle passe son baccalauréat B (économie et social) à Cayenne et trouve ensuite un travail au rectorat. Son grand frère voit d’un mauvais œil ce renoncement à faire des études en raison du décès de sa mère. Il lui ordonne de démissionner et d’étudier. Christiane Taubira, -ce n'est pourtant pas dans sa nature- obtempère. Elle part étudier les sciences économiques pendant un an en Martinique puis elle poursuit ses études à Paris. Christiane Taubira découvre alors la capitale qu’elle juge "bien grise" ainsi que ses habitants avec leurs vêtements sombres "adaptés à leur environnement". Elle rejoint l’Union des étudiants guyanais avec qui elle a des désaccords féconds. Elle passe aussi beaucoup de temps dans les librairies, le "bonheur absolu" et elle fréquente plusieurs établissements autres que la faculté d’Assas où les militants du GUD, un groupe d’étudiants d’extrême droite, font le coup de poing.  

Après ses études, Christiane Taubira revient en Guyane en 1978. Elle enseigne l’économie pendant quatre ans dans un lycée de Cayenne, se passionne pour la politique, rencontre son futur mari Robert Delannon, leader charismatique du Moguyde (Mouvement guyanais de décolonisation) dans lequel elle s’investit et s’enrichit intellectuellement. Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les mouvements indépendantistes perdent de leur vigueur.

Christiane Taubira commence une carrière de dirigeante de différents organismes dans la pêche, l’agriculture, la coopération, la formation et le commerce extérieur. En parallèle, elle propose sur la radio de service public (l'ancêtre de Guyane la 1ère) une chronique sur l’agriculture et la pêche. En 1992, elle fonde avec son mari, le père de ses quatre enfants, le parti Walwari ("éventail" en créole guyanais) et elle se présente l’année suivante aux élections législatives. Face à Rodolphe Alexandre, du PSG (Parti socialiste guyanais), elle l’emporte et arrive enthousiaste à l’Assemblée nationale à Paris. Elle est la première femme élue députée de Guyane. Commence alors une carrière politique exceptionnelle. En 1994, elle figure sur la liste (Radicaux de gauche) de Bernard Tapie aux élections européennes et devient eurodéputée.

3Léon Gontran Damas

Sur le plan national, elle poursuit son ascension. En 2001, elle parvient, en tant que députée, à faire voter une loi qui désormais porte son nom, la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Grâce à cette loi, une date de commémoration est instaurée le 10 mai dans l’Hexagone, l’histoire de l’esclavage est intégrée dans les manuels scolaires et un laboratoire de recherche sur l’esclavage est ouvert au sein du CNRS. À l’école ou au collège, Christiane Taubira n’avait jamais entendu parler de l’esclavage. C’est grâce à ses lectures d’étudiantes qu’elle a pu connaître la réalité du commerce triangulaire et comprendre ensuite que ses ancêtres en avaient été les victimes.

En 2002, Christiane Taubira qui a rejoint le parti radical de gauche, décide de participer à l’élection présidentielle. Avec peu de moyens, mais un enthousiasme à revendre, la députée de Guyane ne boude pas son plaisir de faire campagne. Elle parvient à rassembler environ 700 000 voix, soit 2,3%. Un score amer pour les troupes de Lionel Jospin qui lui reprochent la dispersion des voix de gauche et du même coup, leur défaite. Lionel Jospin, Premier ministre, n’arrive qu’en troisième position. Le deuxième tour se joue entre Jacques Chirac, le président sortant et Jean-Marie Le Pen, leader du Front national, qui n’en revient pas lui-même. En 2002, Christiane Taubira signe également son premier livre édité par Bibliophane qui s’intitule L’esclavage raconté à ma fille.

Aux législatives de 2002, Christiane Taubira rempile. Elle est élue députée de Guyane au second tour avec 65,3% des voix. Au total, Christane Taubira passe 19 ans à l’Assemblée nationale. Une belle longévité. 

En 2012, à la suite de la victoire de François Hollande sur Nicolas Sarkozy, elle est appelée par le président qui lui propose le poste de ministre de la Justice, garde des Sceaux. Christiane Taubira accepte et commence alors l’une des périodes les plus denses de sa vie politique. Ses quatre années passées place Vendôme sont marquées par deux réformes : le mariage pour tous et le projet de réforme pénale.

La loi ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe suscite dans la rue des manifestations virulentes, ponctuées d’insultes à caractère raciste visant la ministre de la Justice. A l’Assemblée nationale, les débats sont houleux et passionnés. La ministre convoque souvent les poètes, en particulier Léon Gontran Damas, notamment lors d’une passe d’armes mémorable avec le député Mariton. Brillante oratrice, elle se bat pied à pied pour défendre sa loi qui finit par être promulguée le 17 mai 2013.

En 2016, Christiane Taubira quitte le gouvernement en désaccord avec le projet de loi sur la déchéance de la nationalité des binationaux. Pendant le quinquennat Macron, l’ex-ministre de la Justice écrit, donne quelques interviews et fait l’objet de nombreuses sollicitations. L’ex-ministre de la Justice acquiert le statut d’icône de la gauche. Elle profite de cette période de relative accalmie pour revenir en Guyane où elle se sent si bien.

En 2022, courtisée par bien des associations et militants, elle se laisse séduire par l’idée d’une nouvelle campagne électorale. Elle s’en explique dans #MaParole. Elle remporte la primaire le 30 janvier 2022 à laquelle aucun des autres candidats de gauche ne souhaite participer. Mais la campagne de Christiane Taubira tourne court, faute de pouvoir rassembler les 500 parrainages.

L’ancienne ministre de la Justice n’a pourtant pas perdu son aura. Elle est régulièrement invitée par les médias nationaux et locaux. Elle est conviée à des salons ou des festivals. On lui propose des conférences. Adulée ou détestée, elle ne laisse personne indifférent. En ce début de mois d’octobre 2023, Christiane Taubira a accepté de présider le jury de la 5e édition du FIFAC, le festival international du film documentaire Amazonie-Caraïbes à Saint-Laurent du Maroni. Elle apprécie de pouvoir visionner et juger autant d’œuvres d’une région à laquelle elle est tant attachée et où elle vit désormais la majeure partie de son temps.

Christiane Taubira au FIFAC à Saint-Laurent du Maroni

♦♦ Christiane Taubira en 5 dates ♦♦♦

►2 février 1952

Naissance à Cayenne

►2 avril 1993

Première élection en tant que députée de la Guyane

►21 mai 2001

Vote de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité

►16 mai 2012

Nommée ministre de la Justice sous la présidence de François Hollande

►17 mai 2013

Vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe