Comment être antiraciste ? Mode d'emploi venu du Brésil

Djamila Ribeiro lors d'une conférence à Rio de Janeiro au Brésil en novembre 2018.
La philosophe afro-brésilienne Djamila Ribeiro publie un "Petit Manuel antiraciste", comprenant des propositions simples et concrètes pour lutter contre le racisme et les discriminations au Brésil... et ailleurs. 

Avec un langage simple et didactique, l'ouvrage de 131 pages publié fin novembre par cette philosophe noire de 39 ans vise à rendre accessible au grand public un débat normalement restreint aux milieux universitaires ou aux cercles de militants. "De nos jours, beaucoup de gens reconnaissent que le Brésil est un pays raciste, mais ne savent pas à quel point il est important d'agir pour combattre ce racisme", explique Djamila Ribeiro dans un entretien à l'AFP. Selon elle, il faut s'informer sur le racisme, lire des auteurs noirs, reconnaître ses propres privilèges si on est né blanc, et soutenir toute initiative en faveur de l'égalité raciale.
 

Féminisme noir 

"Que faites-vous concrètement pour combattre le racisme ?", demande-t-elle dans son livre. Inspiré du livre "How To Be An Antiracist", de l'historien américain Ibram X Kendi, le manuel de Djamila Ribeiro cite des passages d'auteures noires américaines emblématiques comme Angela Davis, Audre Lorde et Bell Hook. En dix chapitres, la Brésilienne, habituée des plateaux de télévision qui est elle aussi une des figures de référence du féminisme noir dans son pays, montre le chemin à suivre pour devenir antiraciste.
 
Première étape : s'informer. "Au Brésil, il y a une idée reçue selon laquelle l'esclavage a été moins terrible que dans d'autres endroits. Cette vision nous empêche de comprendre à quel point le système esclavagiste a encore aujourd'hui un impact sur la façon dont la société est organisée", explique Djamila Ribeiro. Le Brésil a été le dernier pays d'Amérique à avoir aboli l'esclavage, en 1888, et les inégalités entre Noirs et Blancs restent béantes. Les chiffres officiels sont édifiants : 55,8% des Brésiliens sont noirs ou métis, mais seuls 24,4% d'entre eux sont représentés au Parlement. Le salaire moyen des Noirs est 73,9% inférieur à celui des blancs et ils ont 2,7 fois plus de chances d'être tués.


Séquelles de l'esclavage

Pour contribuer à réduire les inégalités, Djamila Ribeiro préconise de soutenir les politiques d'"action affirmative", notamment les quotas dans les universités. Mais il faut également que les jeunes diplômés noirs trouvent leur place dans le marché du travail. "Quelle est la proportion d'employés noirs et blancs dans votre entreprise ? Et quelle est cette proportion pour les postes les plus élevés ? Y a-t-il un projet pour augmenter la diversité ?", interroge l'auteure. Selon elle, le débat ne doit pas se cantonner aux problèmes de la population noire, mais porter aussi sur les privilèges des Blancs, dans un système où l'égalité des chances est faussée par les séquelles de l'esclavage.

"Il est fondamental que la discussion ait lieu du point de vue de ceux qui profitent de la structure raciste, afin qu'ils puissent identifier les privilèges dont ils jouissent et prendre conscience du fait qu'ils ne sont pas naturels", explique la philosophe. "Il ne faut pas se sentir coupable d'être blanc : il faut être responsable. Il y a une différence entre la culpabilité, qui provoque l'inertie, et la responsabilité, qui pousse à l'action" insiste-t-elle. Djamila Ribeiro résume la posture à adopter en deux étapes : "D'abord, il faut changer le regard conditionné par le racisme, et ensuite faciliter la présence de Noirs dans des lieux auxquels ils n'ont pas l'habitude d'avoir accès".
 

"Système d'oppression"

Elle souligne l'importance de reconnaître que le racisme n'est "pas seulement un acte individuel", mais "un système d'oppression". "Il ne faut pas se laisser intimider, il est urgent d'adopter des pratiques antiracistes au travers de gestes simples du quotidien", résume-t-elle. Des propos qui ont d'autant plus de résonance sous le gouvernement du président d'extrême-droite Jair Bolsonaro, auteur de nombreux dérapages racistes.

La semaine dernière, le gouvernement avait tenté de nommer à la tête d'une fondation publique qui oeuvre en faveur des populations noires un homme noir relativisant le racisme et considérant même que l'esclavage avait été "bénéfique" pour les Afro-descendants, parce que "les Noirs vivent mieux au Brésil qu'en Afrique". Une nomination hautement controversée qui a suscité un tollé avant d'être suspendue par la justice, contraignant le gouvernement à revenir en arrière.

► En France, les ouvrages de Djamila Ribeiro sont publiés par les éditions Anacaona