Je vis cette période comme un privilège. Moi qui suis toujours entre deux vols et loin de chez moi, je profite pleinement de ma famille. En revanche, sur le plan professionnel, c’est plus compliqué.
Denis Bénard, commandant de bord Air France
A la maison, Denis Bénard passe du temps avec sa femme, professeur, et s’occupe de l’accompagnement scolaire de ses deux filles issues d’un premier mariage. Le reste du temps, il maintient ses acquis professionnels. "Je relie mes référentiels, ma documentation et je participe régulièrement à des visioconférences avec des groupes de pilotes". Au moment de la reprise des vols, le commandant de bord réunionnais devra se soumettre à une séance de simulateur de vol. "C’est la règle pour tous les pilotes", affirme-t-il.
Une perte nette de 1,8 milliard d'euros
Cette "parenthèse familiale agréable" n’empêche pas Denis Bénard de s’interroger. Depuis deux mois, son entreprise qui emploie 45.000 salariés assure moins de 5% de son programme de vol et affiche une perte nette de 1,8 milliard d'euros au premier trimestre.
Comme Denis Bénard, tous les 4300 pilotes de la compagnie ont considérablement réduits leurs heures de vol. "Pour ma part, je n’ai assuré qu’un seul vol, le 14 avril à destination d’Amsterdam", indique le pilote, nommé commandant de bord courts et moyen-courriers en janvier 2019, après avoir été durant onze ans co-pilote sur long-courriers.
Au début de cette crise sanitaire, la compagnie s’est concentrée sur le rapatriement des Français de l’étranger, la continuité territoriale avec les Outre-mer, les vols humanitaires et le transport de fret, avec notamment ce pont aérien avec la Chine pour acheminer des masques et du matériel médical. "Air France a fait son devoir", estime Denis Bénard.
Pas de retour à la normale "avant plusieurs années"
A ce jour, Denis Bénard n’a aucune visibilité sur son planning de pilote pour les prochaines semaines. Le groupe prévoit une lente reprise de l'activité à l'été 2020, avec la levée progressive des restrictions aux frontières, mais estime que la demande du trafic commercial ne devrait pas revenir au niveau d'avant la crise avant plusieurs années. Le transporteur table dans un premier temps sur la reprise des voyages liés aux besoins de retrouvailles familiales ou amicales après la longue période de confinement, mais également sur ceux entre l'Hexagone et les départements et territoires d'Outre-mer."Le transport aérien a toujours traversé des crises et a toujours dû s’adapter", se rassure Denis Bénard. Et le commandant de bord réunionnais de citer l’impact des attentats de Paris et de Saint-Denis le 13 novembre 2015.
Sans préjuger de l’avenir, Denis Bénard sait déjà que le transport aérien va profondément changer en France et dans le monde. "Nous ne volerons plus jamais comme avant, même si l'avion demeurera le moyen le plus fabuleux pour se déplacer", dit-il.
"La clientèle professionnelle risque de mettre du temps avant de revenir dans nos avions. Le télétravail a permis de se rendre compte que des déplacements ne sont pas toujours nécessaires. S’agissant des touristes, le commandant de bord réunionnais se veut plus optimiste. "Les gens auront envie de s’évader de parcourir le monde", affirme-t-il.
Un modèle plus vertueux
Air France, comme nombre d’entreprises françaises, subit déjà le contre coup de ce "choc brutal ". Dans un communiqué, Benjamin Smith, le directeur général du groupe, a indiqué travailler sur un nouveau plan pour que le groupe Air France-KLM retrouve sa compétitivité dans un monde profondément bouleversé et réaffirme son leadership dans la transition durable du transport aérien.Ce plan de "reconstruction" d'Air France qui devrait passer par une réduction de l'activité sur ses vols intérieurs aura aussi "un impact social", a d’ores et déjà prévenu Benjamin Smith : 18.800 salariés de la Compagnie sont âgés de plus de 50 ans.
Pour maintenir la compagnie la tête hors de l’eau, La Commission européenne a déjà autorisé lundi la France à octroyer un soutien de 7 milliards d'euros au transporteur.
De son côté, la compagnie s’est engagée à réduire les émissions de CO2de 50% d'ici d'ici 2030. Aujourd'hui, 100% des vols domestiques sont compensés et et l'objectif est une consommation de carburant inférieure à trois litres par passager aux 100 km.
Nous adoptons un modèle plus vertueux en intégrant pleinement le développement durable. La flotte se renouvelle avec des avions moins polluants, plus économes et le service à bord devient beaucoup plus éco-responsable avec, par exemple, le recyclage des déchets et la fin du plastique à usage unique.
Denis Bénard, commandant de bord
Même s’il se sent bien chez lui, l’envie de repartir dans le ciel démange le pilote réunionnais. Le commandant de bord veut retrouver le cockpit de l’A320 pour assurer les vols intérieurs et moyen-courriers et le Réunionnais, la cabine du Boeing 777, en simple passager, pour aller voir ses parents et sa sœur à Rivière Saint-Louis. "Avant la crise, je m’y rendais régulièrement. Là ça commence à faire un peu long".