Plus de treize ans après le crash du vol Yemenia 626 au large des Comores qui avait tué 152 personnes, laissant une seule rescapée, le tribunal correctionnel de Paris tranche mercredi sur la responsabilité de la compagnie aérienne yéménite. Dans la nuit du 29 au 30 juin 2009, alors qu'il s'apprêtait à atterrir à l'aéroport de Moroni, un A310 de la Yemenia Airways s'est abîmé dans l'océan Indien, emportant avec lui 142 passagers, dont 66 Français, et 11 membres d'équipage.
Seule une enfant de 12 ans, Bahia Bakari, a survécu dans l'eau en s'accrochant à un débris de l'avion pendant une dizaine d'heures, avant d'être secourue le lendemain par un bateau. "J'ai tenu car je croyais que ma mère était vivante", nous confiait la jeune femme, désormais âgée de 25 ans, en mai dernier.
Quelle responsabilité pour la compagnie ?
Les investigations menées sur les boites noires, retrouvées fin août 2009 à 1 280 mètres de fond, ont permis de conclure que l'accident était dû à une série d'erreurs de pilotage, qui se sont enchaînées en moins de cinq minutes.
À l'issue d'une information judiciaire restée longtemps enlisée, la Yemenia Airways a été renvoyée devant la justice française pour homicides et blessures involontaires. La compagnie a-t-elle une responsabilité dans cet accident ? Oui, a répondu la procureure de la République lors du procès qui s'est tenu à Paris du 9 mai au 2 juin et à l'issue duquel la décision a été mise en délibéré.
Pour la représentante de l'accusation, la compagnie a "participé aux erreurs" ayant conduit à l'accident en ne formant pas correctement ses pilotes et en maintenant les vols de nuit vers les Comores, malgré la panne de certains feux de l'aéroport de Moroni.
Amende maximale requise
La procureure Marie Jonca a requis les amendes maximales prévues par la loi, 225 000 euros et 7 500 euros, soit 232 500 euros, ainsi que la publication intégrale de la décision sur le site de la Yemenia.
Tout au long du procès, le banc des prévenus est resté vide: aucun responsable de la compagnie n'est présent à cause de la guerre qui ravage le Yémen, a expliqué l'un de ses avocats Me Léon-Lef Forster. En plein procès, le 16 mai, la Yemenia a fait décoller son premier vol commercial en six ans au départ de la capitale du Yémen contrôlée par les rebelles Houthis, dans le cadre d'une trêve.
Plaidant la relaxe, la défense a soutenu que la compagnie n'avait pas commis de "manquements" en lien avec la catastrophe. Les avocats ont affirmé que la Yemenia faisait "office de bouc-émissaire", dénonçant un "biais" dans les expertises menées pendant l'instruction et une "farandole de présomptions" sans preuve.
Des dizaines de parties civiles sont venues assister au procès, comme l'unique rescapée du drame qui a fait un récit saisissant de l'accident le 23 mai à la barre. "Ça a été le témoignage le plus important de ma vie", a résumé Bahia Bakari à la sortie de l'audience.
Retrouvez le reportage de la 1ère lors du dernier jour du procès, à Paris :
Hommage collectif
Les proches des victimes ont aussi rendu une forme d'hommage collectif aux défunts en témoignant à la barre, racontant avec beaucoup d'émotion leur douleur et leur difficile deuil depuis le coup de téléphone nocturne leur annonçant la disparition de l'avion. L'A310 transportait de nombreux Comoriens et Français d'origine comorienne qui se rendaient dans l'archipel pour célébrer les "grands mariages", des cérémonies rassemblant des villages entiers. "C'est toute une communauté qui était dans cet avion", a résumé Me Claude Lienhard, l'un des avocats des parties civiles, dans sa plaidoirie.
Comme il est d'usage pour les catastrophes aériennes, les demandes d'indemnisations ont fait l'objet de procédures parallèles qui ne sont pas toutes soldées. Seules les associations de victimes ont sollicité des dommages et intérêts.
Partis de Paris ou Marseille, les passagers avaient changé d'avion à Sanaa, capitale du Yemen, pour un appareil plus vétuste. Ce fonctionnement et les conditions "exécrables" de vol sur la compagnie étaient dénoncés depuis des mois par une association, SOS Voyages aux Comores. L'état technique de l'avion n'était pas en cause dans l'accident, ont néanmoins conclu les expertises judiciaires.