Isabelle Hidair-Krivsky est anthropologue, maître de conférences à l’université de Guyane, dont elle est également vice-présidente du conseil d’administration. Elle revient pour La1ere.fr sur les raisons profondes du mouvement de contestation sociale dans le département.
Le ton monte en Guyane… et à Paris. Alors qu’aucun accord global n’a été trouvé dimanche entre le gouvernement et les collectifs de revendication guyanais, la situation semblait bloquée ce lundi après l’intervention du Premier ministre Bernard Cazeneuve, faisant craindre un durcissement dans le territoire dans les jours à venir. Interrogée par La1ere.fr, Isabelle Hidair-Krivsky, maître de conférences en anthropologie à l’université de Guyane et vice-présidente de cette institution, donne son sentiment sur le mouvement social. Elle participe notamment à des ateliers de réflexion sur les questions de l’éducation.
Peut-on revenir brièvement sur les racines du mouvement de protestation sociale en Guyane ?
Isabelle Hidair-Krivsky (photo ci-dessous) : Les raisons sont à puiser dans les piliers fondamentaux de toute société. En fait depuis environ six mois, la Guyane a pris conscience de son état de délabrement. Trois piliers se sont effondrés : l’éducation, la santé et la sécurité. Depuis des mois de nombreux événements ont alerté la population sur l’état de la dégradation. Il y a eu beaucoup de protestations et de communiqués. Tout naturellement on pourrait dire que la Guyane se dirigeait vers cette nouvelle forme de manifestation, avec des blocages et des barrages. La population ne se sentait pas entendue.
Parmi les revendications des différents collectifs, quels sont les points qui vous semblent les plus essentiels ?
Sur les questions sécuritaires des réponses ont été apportées. Mais pour les questions éducatives et de santé, sans lesquelles on ne peut pas développer l’économie du pays, on se rend compte qu’il n’y a pas eu de réponse satisfaisante. Par exemple dans le domaine de la santé la proposition du ministère est de 20 millions d’euros alors que la dette de l'hôpital de Cayenne seul est de 50 millions. Pour les questions d’éducation, ce qui est demandé est un véritable investissement dans les infrastructures afin de se projeter dans l’avenir. Sur ce point, les réponses n’ont pas été apportées sur la construction de collèges est de lycées. Il sera donc difficile de se projeter et de développer une société guyanaise dans son épanouissement culturel, éducatif, social et au niveau de la santé, alors que les conditions ne sont pas réunies. Ce sont donc des points bloquants auxquels les collectifs demandent une réponse urgente.
Le collectif demande 2,5 milliards d’euros et pour lui ce montant n’est pas négociable. Mais l’argent représente-t-il vraiment le fond du problème ? Le malaise n’est-il pas plus dense selon vous ? On voit par exemple des chants et des protestations en créole, le drapeau guyanais est brandi, la culture guyanaise est invoquée… Y-a-t-il également une revendication identitaire ?
Ce qui est intéressant c’est qu’on est dans un mouvement post-matérialiste. Toutes les questions matérielles aujourd’hui sont importantes mais elles ne sont pas essentielles. Il y a des revendications concernant les infrastructures, mais pas uniquement. Sur le même pied d’égalité, et dans le même ordre de priorité, on va retrouver aussi de nouvelles aspirations, comme l’épanouissement personnel, la tolérance, et la reconnaissance de son identité. On voit bien que ces questions de sentiment identitaire, d’appartenance au territoire, sont sur le même pied que la construction d’écoles, l’accès aux soins pour tous, et la sécurité de la population. Il y a cette revendication qui aujourd’hui tient bon, parce que c’est celle qui crée le lien entre les différents collectifs, et qu’il y a cette spécificité guyanaise, cette identité qui est plein essor et qui se revendique comme telle aujourd’hui.
Existe-t-il une volonté indépendantiste, qui ne dirait pas son nom ?
Non, de là à parler de revendication indépendantiste, on n’y est pas du tout. Quand on regarde la composition des collectifs, on voit sur le même pied des socio-professionnels, des grands patrons, des travailleurs de différents syndicats, les différentes communautés et toute la diversité culturelle de la Guyane. Ce n’est pas un mouvement approprié par une tendance politique ou une appartenance syndicale. Ce collectif représente toute la diversité guyanaise et c’est une première. C’est un sentiment identitaire qui est revendiqué par la population qui sent qu’elle a les réponses qu’elle peut apporter à ses besoins. Elle peut apporter les réponses parce qu’elle est actrice au quotidien de cette situation guyanaise particulière et spécifique d’un territoire en Amérique du Sud, avec des voisins avec lesquels elle a envie d’échanger et de coopérer. C’est l’identité d’un territoire amazonien et qui est revendiqué régulièrement depuis les blocages.
Ne craignez-vous pas que le mouvement s’essouffle et retombe comme après les contestations de novembre 2008 en Guyane et celles de 2009 en Guadeloupe et en Martinique, où très peu de choses ont changé par la suite finalement ?
Lorsqu’on regarde les revendications de l’époque, elles étaient surtout matérielles : la vie chère, l’emploi et les infrastructures. Aujourd’hui ce ne sont plus ces revendications qui sont mises en avant, et elles ne sont pas portées par les mêmes personnes. En 2008 et 2009, il y avait en avant des défilés les syndicats, les femmes et hommes politiques, et les différents partis étaient présents. Aujourd’hui, en Guyane la configuration est complètement différente. Il faut vraiment comprendre que depuis 15 jours, les élus de Guyane sont mis à l’écart par les différents collectifs. Ils ne participent pas aux travaux. Les élus sont des observateurs, contrairement à 2008. On a l’impression que la société guyanaise a envie d’apporter d’autres réponses que celles des syndicats et des partis politiques. Les collectifs ont fait table rase pour pouvoir porter un discours qui va au-delà des intérêts matériels directs. On parle beaucoup plus d’unité et de détermination. Les intérêts sont avant tout collectifs. Nous sommes tous dans la même pirogue et si cette pirogue se renverse, c’est la noyade. On assiste en Guyane à un mouvement inédit. C’est d’ailleurs pour cela difficile de dire ce qu’il va devenir après. C’est la première fois que l’on assiste à un tel mouvement social avec une telle ampleur et dans une telle configuration.
Peut-on revenir brièvement sur les racines du mouvement de protestation sociale en Guyane ?
Isabelle Hidair-Krivsky (photo ci-dessous) : Les raisons sont à puiser dans les piliers fondamentaux de toute société. En fait depuis environ six mois, la Guyane a pris conscience de son état de délabrement. Trois piliers se sont effondrés : l’éducation, la santé et la sécurité. Depuis des mois de nombreux événements ont alerté la population sur l’état de la dégradation. Il y a eu beaucoup de protestations et de communiqués. Tout naturellement on pourrait dire que la Guyane se dirigeait vers cette nouvelle forme de manifestation, avec des blocages et des barrages. La population ne se sentait pas entendue.
Parmi les revendications des différents collectifs, quels sont les points qui vous semblent les plus essentiels ?
Sur les questions sécuritaires des réponses ont été apportées. Mais pour les questions éducatives et de santé, sans lesquelles on ne peut pas développer l’économie du pays, on se rend compte qu’il n’y a pas eu de réponse satisfaisante. Par exemple dans le domaine de la santé la proposition du ministère est de 20 millions d’euros alors que la dette de l'hôpital de Cayenne seul est de 50 millions. Pour les questions d’éducation, ce qui est demandé est un véritable investissement dans les infrastructures afin de se projeter dans l’avenir. Sur ce point, les réponses n’ont pas été apportées sur la construction de collèges est de lycées. Il sera donc difficile de se projeter et de développer une société guyanaise dans son épanouissement culturel, éducatif, social et au niveau de la santé, alors que les conditions ne sont pas réunies. Ce sont donc des points bloquants auxquels les collectifs demandent une réponse urgente.
Le collectif demande 2,5 milliards d’euros et pour lui ce montant n’est pas négociable. Mais l’argent représente-t-il vraiment le fond du problème ? Le malaise n’est-il pas plus dense selon vous ? On voit par exemple des chants et des protestations en créole, le drapeau guyanais est brandi, la culture guyanaise est invoquée… Y-a-t-il également une revendication identitaire ?
Ce qui est intéressant c’est qu’on est dans un mouvement post-matérialiste. Toutes les questions matérielles aujourd’hui sont importantes mais elles ne sont pas essentielles. Il y a des revendications concernant les infrastructures, mais pas uniquement. Sur le même pied d’égalité, et dans le même ordre de priorité, on va retrouver aussi de nouvelles aspirations, comme l’épanouissement personnel, la tolérance, et la reconnaissance de son identité. On voit bien que ces questions de sentiment identitaire, d’appartenance au territoire, sont sur le même pied que la construction d’écoles, l’accès aux soins pour tous, et la sécurité de la population. Il y a cette revendication qui aujourd’hui tient bon, parce que c’est celle qui crée le lien entre les différents collectifs, et qu’il y a cette spécificité guyanaise, cette identité qui est plein essor et qui se revendique comme telle aujourd’hui.
Existe-t-il une volonté indépendantiste, qui ne dirait pas son nom ?
Non, de là à parler de revendication indépendantiste, on n’y est pas du tout. Quand on regarde la composition des collectifs, on voit sur le même pied des socio-professionnels, des grands patrons, des travailleurs de différents syndicats, les différentes communautés et toute la diversité culturelle de la Guyane. Ce n’est pas un mouvement approprié par une tendance politique ou une appartenance syndicale. Ce collectif représente toute la diversité guyanaise et c’est une première. C’est un sentiment identitaire qui est revendiqué par la population qui sent qu’elle a les réponses qu’elle peut apporter à ses besoins. Elle peut apporter les réponses parce qu’elle est actrice au quotidien de cette situation guyanaise particulière et spécifique d’un territoire en Amérique du Sud, avec des voisins avec lesquels elle a envie d’échanger et de coopérer. C’est l’identité d’un territoire amazonien et qui est revendiqué régulièrement depuis les blocages.
Ce n’est pas un mouvement approprié par une tendance politique ou une appartenance syndicale. Ce collectif représente toute la diversité guyanaise et c’est une première. C’est un sentiment identitaire qui est revendiqué par la population qui sent qu’elle a les réponses qu’elle peut apporter à ses besoins." (Isabelle Hidair-Krivsky)
Ne craignez-vous pas que le mouvement s’essouffle et retombe comme après les contestations de novembre 2008 en Guyane et celles de 2009 en Guadeloupe et en Martinique, où très peu de choses ont changé par la suite finalement ?
Lorsqu’on regarde les revendications de l’époque, elles étaient surtout matérielles : la vie chère, l’emploi et les infrastructures. Aujourd’hui ce ne sont plus ces revendications qui sont mises en avant, et elles ne sont pas portées par les mêmes personnes. En 2008 et 2009, il y avait en avant des défilés les syndicats, les femmes et hommes politiques, et les différents partis étaient présents. Aujourd’hui, en Guyane la configuration est complètement différente. Il faut vraiment comprendre que depuis 15 jours, les élus de Guyane sont mis à l’écart par les différents collectifs. Ils ne participent pas aux travaux. Les élus sont des observateurs, contrairement à 2008. On a l’impression que la société guyanaise a envie d’apporter d’autres réponses que celles des syndicats et des partis politiques. Les collectifs ont fait table rase pour pouvoir porter un discours qui va au-delà des intérêts matériels directs. On parle beaucoup plus d’unité et de détermination. Les intérêts sont avant tout collectifs. Nous sommes tous dans la même pirogue et si cette pirogue se renverse, c’est la noyade. On assiste en Guyane à un mouvement inédit. C’est d’ailleurs pour cela difficile de dire ce qu’il va devenir après. C’est la première fois que l’on assiste à un tel mouvement social avec une telle ampleur et dans une telle configuration.