Nous sommes des intellectuels calédoniens – kanak et européens. Nous étions enfants pendant les « événements » [1984-1988], chacun retranché dans son « camp ». Trente-cinq ans plus tard, nous nous apprêtons à voter au référendum. Dans des sens différents. Jolie revanche sur notre histoire : quand nos anciens ont pu prendre les armes les uns contre les autres, aujourd’hui nous prenons la plume ensemble et sortons du silence pour dire notre exaspération face à une pensée simplificatrice venue de métropole. Comme celle d’Edwy Plenel.
"Analyses simplificatrices"
Les auteurs dénoncent les "analyses simplificatrices" de certains, citant à plusieurs reprises le fondateur de Mediapart Edwy Plenel qui dans la postface d'un ouvrage de Mediapart paru il y a quelques semaines expliquait que la France doit saisir l'occasion du référendum du 4 octobre sur l'avenir du Caillou "pour se libérer elle-même de la question coloniale, en accompagnant l’indépendance en relation voulue par les indépendantistes de Kanaky." Les quatre intellectuels calédoniens estiment qu'Edwy Plenel, "Comme tant d’autres, continue d’observer notre archipel avec une grille de lecture datant des années 1980. Quarante ans ont passé ! Nous devons sortir de l’imposture intellectuelle réduisant l’analyse de la situation calédonienne à l’existence d’un système colonial institutionnalisé, où le peuple kanak serait aujourd’hui encore opprimé."
"Le courage de la nuance"
Ils demandent à chacun d'avoir "le courage de la nuance". S'ils affirment que le Caillou "s’est bâti sur des ségrégations créées par l’histoire coloniale", ils expliquent que "Qu’on le veuille ou non, notre créolisation se tisse en silence"."Au moment où nous cherchons une solution inédite de vivre-ensemble, les analyses simplificatrices nous indignent parce qu’elles nous déresponsabilisent. Nourrir un discours de victimisation des Calédoniens d’origine kanak, qui, en 2020, seraient les délaissés de l’Etat colonial, est non seulement une contre-vérité absolue (...) mais entretient l’idée que tout mérite réparation, que tout est un dû."
Selon eux, cette "posture anticoloniale à la Plenel, nourrie d’une mauvaise conscience aussi compréhensible qu’inutile, entretient par sa prétendue bienveillance un paternalisme tout à fait colonial."
"Incurie calédonienne"
Si des déséquilibres persistent aujourd'hui encore dans la société calédonienne, les responsabilités sont, selon les quatre auteurs de la tribune, à rechercher en Nouvelle-Calédonie : "Les compétences pour réformer cette situation sont aux mains des élus calédoniens loyalistes et indépendantistes, depuis l’accord de Nouméa. Ce sont nos élus qui n’ont pas su assez réformer le pays. La « France » d’aujourd’hui n’y est pour rien. Notre incurie est calédonienne. Notre solution sera aussi calédonienne, que l’on reste dans l’espace national ou que l’on quitte la France."Destin commun
En conclusion, Jenny Briffa, Louis Lagarde,Emmanuel Tjibaou et Jean-Marie Wadrawane adressent un ultime message :Nous sommes de plus en plus nombreux à ne plus systématiquement nous inscrire dans des fidélités historiques, familiales ou ethniques. Chaque jour, nous travaillons concrètement pour le vivre-ensemble et le destin commun. Nous ne sommes pas là pour panser les maux de la mauvaise conscience française, mais bien pour sortir d’une pensée idéologisée et aller vers une pensée qui objective. Nous, Calédoniens, qui démontrons au quotidien notre capacité à penser contre nous-mêmes, n’avons de leçon à recevoir de personne.