Cette fois c’est un vrai rendez-vous sportif qui est pris. Rendez-vous à la Base de Lorient, nouveau port d'attache du marin guadeloupéen avant son Vendée Globe et de son Imoca Groupe APICIL. Juste une rencontre histoire de faire monter l'adrénaline et de se défier. Mais aussi de donner l’occasion aux deux compères de délivrer leur message fort sur l'inclusion, notamment dans les milieux sportifs et professionnels.
Chris Ballois, à la fois entrepreneur et sportif de haut niveau, vit dans le Finistère. Il découvre le kitesurf au Maroc en 1998, devient responsable commercial dans ce sport puis crée Handiconsulting, sa propre société. Celle-ci qui promeut l’intégration avec des conférences dans les entreprises, le travail sur de nouveaux supports pour les personnes porteuses de handicap par exemple.
Et puis tout va très vite : le 7 juillet 2018, sur le plan d'eau de La Palme près de Perpignan, il bat le record du monde de vitesse en kite surf sur le mile nautique (1852 mètres) détenu par l'Anglais Robert Munro, sportif valide.
Le chronomètre indique la vitesse de 35,78 nœuds soit plus de 66,26 kmh.
Deux discours similaires
Le marin n'a pas d'autre choix que d’embarquer le kitesurfeur à bord de son monocoque. C'est chose faite, une grande première pour Chris qui se plonge pendant quelques heures dans cet univers des bateaux de compétition. Damien adore faire partager ce qu'il ressent, et lorsqu'il laisse la barre à son invité après un rapide briefing, l'IMOCA file entre Groix et Lorient sans même s'apercevoir qu'il a changé de maître."C’est la classe ! C’est juste énorme de pouvoir barrer un 60 pieds du Vendée Globe, énorme et hyper intéressant", commente Chris tout sourire à la barre du monocoque rouge et blanc.
Il y a 20 nœuds de vent établi et le champion de Kitesurf va barrer avec 37 degrés d’inclinaison, ce qui est inhabituel pour lui. Damien le regarde avec admiration : "C’est quand même le premier marin avec un handicap à détenir un record du monde valide, c’est une sacrée performance. Chris a un super mental, je pense que comme moi, il a dû avoir des personnes qui ont émis des doutes sur sa capacité à pouvoir performer, mais il n’a jamais rien lâché et aujourd’hui il est recordman du monde, c’est juste exceptionnel", souligne-t-il.
Le but de ce type de rencontre, c’est d’échanger autour de ma pratique et de la sienne. J’ai besoin du regard que Chris va porter sur la voile, et lui va m’expliquer comment il fait de son côté avec un handicap un peu différent, même s’il est très ressemblant au mien.
Damien a battu bon nombre de marins qui ont deux mains, que ce soit sur les trois Routes du Rhum qu'il a terminé, sur le Tour de France à la Voile gagné en 2017, ou encore la Rolex Fastnet 2019 avec son nouveau bateau, en duo avec Yoann Richomme. Chris fait remarquer cette similitude : "On a des parcours qui sont relativement parallèles, moi en kite, lui en bateau. Ce qui est intéressant, c’est la compétition parmi les valides et c’est ce que je défends beaucoup dans l’inclusion. Une inclusion par la compétence et pas uniquement par le côté social. A partir du moment où on a de la compétence derrière ça se passe vraiment bien. Dans le monde de l’entreprise c’est ça qu’il faut essayer d’impulser."
Discours identique, les deux hommes s'accordent. "Ce qu'a fait Chris prouve bien aujourd’hui dans la réalité que l’on a des athlètes handisports qui peuvent rivaliser avec des valides sur leur terrain de jeu", renchérit Damien.
Ils sont donc prêts pour le défi, après cette mise en jambes ensemble sur le bateau : se retrouver pour une course de vitesse entre l’IMOCA de 18,28 mètres Groupe APICIL et la petite planche de 1,5 mètres de long.
L'un vole, l'autre glisse
Chris débarque pour aller chercher son matériel de kite dont il ne se sépare jamais très longtemps. Dans un vent soutenu, le recordman du monde s'équipe et ne va pas tarder à retrouver le monocoque sur le plan d’eau. Les deux compétiteurs se sont alors lancés dans de superbes runs, sur une mer assez formée.En vitesse pure si le bateau de Damien glisse à près de vingt nœuds, Chris, lui, reconnait avoir mis les freins… L'objectif est d’abord de s’amuser à se rapprocher l’un contre l’autre, d’avoir une trajectoire assez droite du bateau pour que le kitesurfeur puisse se rapprocher sans accrocher les outriggers latéraux du monocoque. Et là ça commence à être de la haute voltige quand le kite décolle, c’est limite dangereux. "J’avais 17 mètres de ligne, ce qui n’est pas énorme, mon aile de 11 m2 était à quelques centimètres de ces gros espars latéraux, perpendiculaires à l’axe du bateau. Il ne fallait pas que je me rate".
En prime, et pour l'image aussi, un check entre les deux hommes, Chris passant sous l’avant du Groupe APICIL. "Ce n’était pas du tout calculé, pas du tout prévu. En fait j’étais à côté du bateau, Damien s’est mis sur l’avant, moi j’étais au vent du bateau par sécurité car je ne pouvais pas passer derrière avec les turbulences de la grand-voile. J’ai fait un petit slalom devant le nez en prenant toutes les précautions et puis et j’ai réussi à me glisser tout près et on a pu checker. C’était chaud ce n’était pas anodin, faut pas que les gens s’amusent à faire ça."
Toujours changer la vision du handicap
La fédération handi voile les rapproche aussi, tous deux y font partie de la commission handi voile et paralympique. Même si la voile n’est plus aux Jeux Paralympiques, Chris Ballois se réjouit de voir le Kitesurf intégré aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Les épreuves nautiques dérouleront à Marseille et pour le Kitesurf ce sera un relais mixte"Je pratique en valide, là ce sera sur foil, comme pour le windsurf. On a trois premiers français dans le top 16 pour l’instant je n’y suis pas. Mais ce sera une belle exposition pour notre sport."
Les deux hommes ont le même handicap, une agénésie de la main gauche, un peu plus développée pour Chris, ce dernier pratique son sport avec une prothèse. Et tous deux veulent changer le regard des autres sur le handicap. Damien mène ce combat avec Des Pieds et Des Mains depuis 2005, son futur Vendée Globe lui permet de véhiculer cette conviction.
Le but c’est vraiment de montrer que le bateau avec lequel je vais partir faire le tour du monde est accessible à tous.
Chris développe l’argument un peu plus loin dans l’image. "On a une relation au corps dans le sport, on montre le corps et c’est une façon de s’accepter. Pour les autres sportifs qui sont autour de nous c’est aussi une façon de montrer que le handicap ce n’est ni sale ni gore, qu’il n’y a pas de sang quand on enlève une prothèse. Il s’agit juste de montrer que sans la prothèse on a un membre parfois en moins, avec juste une cicatrice, mais c’est naturel."
Sur le handicap on a la même notion de diversité qu’une personne qui est grande, petite, lourde, de couleur, tout ça c’est de la diversité. Le handicap est une différence parmi tant d’autres. Moi je mets tout ça dans le même paquet, on a tous à vivre ensemble.
Si les deux hommes se sont amusés à se rapprocher sur l’eau avec leurs engins pour cette démonstration, et ont peut-être pris des risques, on sait très bien que la mer reste toujours la plus forte.
En mer le risque zéro n’existe pas
Damien fait le Vendée Globe, il prendra le départ le 8 novembre prochain. Et ça épate Chris. "Je suis admiratif de ce que va faire Damien, partir trois mois sur son bateau seul avec les risques que tu peux prendre sur un bateau de plus de 18 mètres de long, c’est un autre monde."Pourtant le Breton a pris aussi des risques dans ses traversées comme entre Brest et Roscoff. Mais paradoxe il n’a pas l’impression d’être en danger quand il est au large dans 7 mètres de creux… "Sur un kite tu te retrouves quasiment nu quand tu es au large d’Ouessant avec 55 nœuds de vent, ça parait improbable, mais moi dans cette situation je me sens en sécurité. Dans un très gros bateau comme celui de Damien je me sentirai plus en danger."
Cette notion du danger , Damien y pense bien sûr, mais n’en fait pas une obsession. "La mer est toujours la plus forte, il faut rester humble. On a beau être sur des machines de plus en plus performantes, le risque est aussi de plus en plus grand. Cependant, il ne faut pas que cette crainte inhibe l’action. Au contraire, elle doit permettre de réagir efficacement dans une situation compliquée. Certes, il faut craindre les éléments mais ne pas les redouter non plus. Moi je serai dans l’action, mes proches non."
Le monocoque Groupe APICIL va désormais subir à Caen un dernier chantier d’été : un travail au niveau de la carène pour optimiser une meilleure glisse sur l’eau. Et par la même occasion quelques jours de vacances indispensables pour Damien après cette dernière escapade. Chris lui a promis d’être au départ aux Sables-d’Olonne. Les deux hommes sont de la même trempe, leurs histoires ont un goût de sel marin.