Dopage : comment l'escrimeuse guadeloupéenne Ysaora Thibus peut espérer prouver la contamination

Ysaora Thibus, escrimeuse guadeloupéenne, le 8 février 2024 sur le plateau du magazine "Tout le sport"
Pour sauver sa présence lors des Jeux olympiques 2024 à Paris, la Guadeloupéenne Ysaora Thibus, contrôlée positive mi-janvier à un agent anabolisant, l'ostarine, plaide la contamination, une défense qui a permis à des sportifs d'être innocentés dans le passé, notamment via des analyses capillaires.

Suspendue depuis le 8 février, la championne du monde de fleuret (2022) et vice-championne olympique par équipes (2021) 32 ans, aurait été victime d'une contamination par transfert via les "fluides corporels" de son compagnon, l'ex-tireur américain Race Imboden (30 ans).

C'est en tout cas ce qu'a indiqué l'avocate de Thibus, Maître Joëlle Monlouis, au journal L'Équipe, le 24 février dernier, plaidant la contamination croisée.

Ce type de défense a déjà permis de blanchir le joueur de tennis Richard Gasquet ou le défunt perchiste canadien Shawn Barber, ayant tous les deux produit des échantillons positifs à la cocaïne.

"Pour parler de contamination, il y a un prérequis, c'est une concentration faible, voire ultra faible, dans les urines qui ne correspond pas à une concentration observée lorsqu'on utilise la substance à des fins d'augmentation de performance", explique à l'AFP le professeur Pascal Kintz, pharmacien et toxicologue ayant oeuvré dans les dossiers Gasquet et Barber.

Démontrer des "quantités élevées" chez le partenaire

Cette condition demeure loin d'être suffisante : l'Agence mondiale antidopage (AMA) comme le Tribunal arbitral du sport (TAS) considèrent ces traces, mêmes infimes, comme la fin d'élimination d'un produit utilisé pour se doper.

"La clef est donc de démontrer que l'athlète n'utilise pas de façon répétée la molécule, explique le Pr Kintz. Si on en prend une ou deux fois, l'ostarine ne fait rien du tout. Il faut en prendre pendant plusieurs semaines, 10 mg à 20 mg par jour, pour qu'il y ait un effet. En situation de visée dopante, elle se fixe donc dans les cheveux à des concentrations de 50 à 200 picogrammes par milligramme."

Les analyses capillaires de l'athlète doivent donc se révéler négatives ou faire apparaître des concentrations très faibles.

Responsabilité VS prudence extrême

En vertu du principe de responsabilité objective (strict liability), propre à l'antidopage, les sportifs sont comptables de toutes les substances pénétrant dans leur corps. Mais dernièrement, la contamination croisée a permis à certains d'y échapper en faisant valoir qu'ils avaient bien fait preuve d'une prudence extrême (utmost caution), autre assise de l'antidopage.

Outre Gasquet et Barber, le sprinteur américain Gil Roberts, champion olympique du relais 4x400m aux JO-2016, a par exemple obtenu en appel en 2018 la levée de sa suspension initiale de quatre ans en ayant plaidé la contamination à un agent masquant (probénécide) après avoir embrassé sa compagne.

"Le troisième prérequis pour démontrer un passage par fluide corporel - via un baiser ou des relations sexuelles - est que le partenaire soit un consommateur de ce genre de produits, poursuit Pascal Kintz. Et on doit arriver à montrer qu'il y a des quantités élevées de produits dans ses cheveux."

En 2020, deux sportives dont les échantillons avaient fait apparaître du ligandrol, un agent anabolisant de la famille des SARM (comme l'ostarine), ont aussi obtenu la levée de leur suspension en raison d'une contamination par voie sexuelle : la vice-championne olympique de canoë en ligne canadienne Laurence Vincent-Lapointe et la joueuse américaine de softball Madilyn Nickles.

"Risque connu depuis des années"

Si ces cas nourrissent la jurisprudence, ils ont aussi fait les gros titres. "Ce n'est plus recevable de dire qu'on a été contaminé par son conjoint, estime auprès de l'AFP Jean-Pierre Mondenard, médecin auteur de nombreux ouvrages sur le dopage. C'est un risque connu depuis des années. Cela rentre selon moi dans le concept de responsabilité objective du sportif."

"C'est tout à fait possible qu'il s'agisse d'un transfert par fluides corporels, reconnaît-il. Mais comment se fait-il qu'avec sa cellule individuelle et qu'avec leur expérience cumulée de sportifs de haut niveau, ils se fassent avoir ?"

Avant même une décision sur le fond, Ysaora Thibus est engagée dans une course contre-la-montre pour compresser le délai de six mois maximum du tribunal disciplinaire de la Fédération internationale d'escrime pour tenir une audience. Car le comité olympique français (CNOSF) a fixé les inscriptions définitives des sélectionnés au 8 juillet.