Depuis 32 ans, Jenny Hippocrate se bat pour faire avancer la recherche sur la drépanocytose, première maladie génétique au monde. Présidente de l'Association Pour l'Information et la Prévention de la Drépanocytose (APIPD), la Martiniquaise commente la décision de la Haute autorité de santé (HAS) qui introduit sur le marché un nouveau traitement en se basant sur la thérapie génique et utilise les ciseaux moléculaires Crispr Cas9. Une avancée qui permettrait de diviser par dix le prix du traitement, qui passerait ainsi de 2 millions d'euros à 200.000 euros.
En quoi consiste ce nouveau traitement contre la drépanocytose autorisé par la HAS ?
Jenny Hippocrate : C'est une forme de thérapie génique.(...) Le principe est de découper de l'ADN au ciseau moléculaire pour ensuite faire rentrer la nouvelle molécule, d'où le terme 'Crispr' (une technologie utilisée en biotechnologie, pour la recherche biomédicale et pour des applications thérapeutiques, NDLR.). C'est une technique qui existe depuis déjà quelques mois et qui devrait arriver en France. Il faut que l'on suive cela de très près, mais apparemment, c'est une technique qui a l'air de marcher. Deux chercheuses ont eu le prix Nobel pour cette avancée.(...) C’est une très bonne nouvelle que la France accepte. Néanmoins, il n’y a pas de risque zéro, il faudra attendre quelques années afin de savoir où nous en sommes avec cette nouvelle thérapeutique.
Qu'est-ce que cela change par rapport à ce qu'il y a déjà sur le marché ?
J. H. : Aujourd'hui, il faut une greffe de moelle, qui s'effectue avec un donneur compatible. Si on n’a pas de donneur compatible dans la famille ou la fratrie, on ne peut pas être guéri. Maintenant, concrètement, on coupe l'ADN et on fait rentrer quelque chose dedans. Il n'y a donc aucun rejet étant donné que ce n'est pas une greffe. (...) De plus, on a longtemps dit que le traitement coutait trop cher et qu’on ne mettrait pas autant d’argent sur un malade, en moyenne 2 millions d'euros. Aujourd'hui, cela pourrait être divisé par dix et avoisiner les 200.000 euros. Après, il y a l'aspect psychologique à prendre en compte. Le malade peut se poser des questions. "Est-ce que ça va marcher ? Est-ce que ça ne va pas me tuer ?..." Même si on se projette en disant que l’on va guérir, il faut quand même effacer cette partie morbide. Il faut apprendre aux malades à revivre sans la maladie. On est dans une technique où il n'y a pas encore beaucoup de recul, le malade va avoir peur.
Pourquoi cette autorisation arrive-t-elle seulement maintenant ?
J. H. : Je crois en cette nouvelle thérapeutique, mais je suis persuadée que ça fait longtemps que l’on aurait pu guérir la drépanocytose. C’est une question d’argent, une question de racialisation de la maladie. On l'appelait 'maladie des noirs' ou 'maladie des pauvres'. Il n'y a pas eu d’argent, pas d’enveloppe allouée à la recherche. Il n'y pas eu non plus d’enveloppe pour que les médecins l'étudient en fac de médecine, etc. La drépanocytose ne bénéficie pas de la même attention que les autres maladies génétiques. C’est une maladie oubliée. Pourtant, c’est la première maladie génétique au monde. Mais je crois qu’un jour, on va quand même gommer tout ça et que les malades vont vivre des jours heureux. En tant que présidente d’association, je suis capitaine d’un super vieux paquebot, mais dedans, il y a de super bons matelots. Et il est certain qu’avec des matelots comme nous avons à bord, les 20.000 bénévoles sur le terrain, nous allons arriver tôt ou tard sur une plage, 'l’île de la guérison'.
Le 19 juin, c'est la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose, une maladie du sang génétique et invisible qui touche en majorité les populations des Antilles et de l’Afrique Subsaharienne. Très répandue, elle concerne environ 300 000 naissances par an dans le monde.