"Samedi soir, ça va être du spectacle", résume Jenny Hippocrate. La présidente de l'association pour l'information et la prévention de la drépanocytose (APIPD), ne tarit pas d'éloges sur leur gala de charité organisé ce samedi 15 juin à Paris. Danse, chant, sportifs de haut niveau et personnalités politiques, comme chaque année les bénévoles de l'association se plient en quatre pour organiser une soirée mémorable. L'objectif : récolter des fonds, et comme toujours, informer le grand public sur la drépanocytose, cette maladie génétique très fréquente.
"Le gala, c'est notre vitrine, il permet de faire connaitre la maladie", détaille Jenny Hippocrate, qui s'investit corps et âme dans cette lutte depuis 30 ans. Lors de cette soirée, elle sera soutenue par les nombreux bénévoles qui font vivre l'association. Au total, ils sont plus de 20 000 dans le monde entier, dont 2 800 en France et 700 rien qu'en région parisienne.
Une grande famille
"C'est une grande famille", sourit Rosy, bénévole depuis huit ans. Anniversaires ou naissances, les membres de l'APIPD partagent les moments importants de leur vie. "Ma fille, par exemple, c'est un bébé APIPD, elle venait aux réunions avec moi, décrit Valérie Noiran, psychologue de l'association depuis 20 ans. On a beaucoup d'enfants comme ça qui ont grandi avec l'association et maintenant prennent le relais." Des enfants devenus grands puisque l'association fête cette année ses 35 ans. Un anniversaire qui sera célébré lors du gala de charité.
Depuis toutes ces années, Jenny Hippocrate porte ce combat corps et âme. Un engagement qu'elle transmet à ses bénévoles.
C'est Jenny qui nous donne cette motivation. Elle travaille tellement... Parfois, on lui dit qu'il faut qu'elle se repose. Le lendemain, on voit une photo où elle est déjà en Guadeloupe ou en Martinique.
Rosy, bénévole à l'APIPD
Des traitements en pleine évolution
La motivation de la présidente est toujours intacte, mais son discours a changé. "Je ne vais pas courir pour dire : on va sauver les malades à tout prix. On peut les sauver les malades, il suffit juste de mettre une enveloppe adéquate", assène Jenny Hippocrate. En trente ans, la prise en charge de la maladie a largement évolué. Thérapie génique, greffe de moelle osseuse, traitement médicamenteux pour apaiser les symptômes, aujourd'hui de nombreuses options — plus ou moins accessibles — existent pour vivre avec la drépanocytose.
"Il y a 30 ans, on me disait que mon fils n'atteindrait pas l'âge de 5 ans, avance Jenny Hippocrate, dont le fils Taylor est maintenant âgé de 32 ans. Aujourd'hui, on ne parle plus de ça. On connait mieux la maladie, et il y a une meilleure prise en charge." Grâce à cette meilleure visibilité dont jouit la maladie, l'association remarque également un changement dans la perception des drépanocytaires. "Avant, soit on traitait l'enfant comme un roi parce que ses heures étaient comptées, soit il avait totalement perdu son identité, on l'appelait le petit malade", décrit la présidente de l'association.
Les difficultés du monde professionnel
Avec les réseaux sociaux, le vécu des drépanocytaires est à la portée du grand public. Tout comme leurs difficultés. "On entend des gens dire qu'on ne leur a pas fait de prêt ou qu'on les a licenciés parce qu'ils sont drépanocytaires", s'énerve Jenny Hippocrate. Mis à part les moments de crise, "où la douleur peut vous empêcher de respirer", la drépanocytose est une maladie presque invisible.
Si les salariés font le choix de ne pas évoquer leur maladie dans le cadre professionnel, ils peuvent se retrouver dans des situations de tension avec leurs employeurs qui ne comprennent pas leurs absences répétées.
Rien que prendre les transports pour se rendre au travail leur demande un effort considérable. Mais ils ont parfois l'impression que ce n'est pas reconnu.
Valérie Noiran, psychologue de l'APIPD
"L'avancée salutaire du télétravail"
Psychologue du travail, Valérie Noiran accompagne depuis 20 ans des employés drépanocytaires en conflit avec leur hiérarchie. "On tente de créer des réunions tripartites avec le médecin du travail, l'employeur et le malade, pour qu'il y ait un réel suivi, détaille la psychologue. Ou un binôme de travail qui peut reprendre les dossiers lors d'une absence."
La psychologue souligne l'avancée "salutaire du télétravail". Pour les métiers pour lesquels c'est compatible, le télétravail permet aux drépanocytaires de "gérer la fatigabilité" et de "rester performant". Dans tous les cas, les personnes atteintes de drépanocytose sont reconnues en situation de handicap. L'employeur a donc l'obligation d'aménager leur poste.
Élargir le dépistage
Au fil des avancées médicales et sociales, les objectifs de l'APIPD ont évolué. Mais leur revendication principale est toujours d'actualité."Il faut sortir la drépanocytose du ciblage ethnique, ça engendrerait moins de racisme, moins de discrimination, d'exclusion", martèle Jenny Hippocrate.
Depuis 1984, le dépistage néonatal de la drépanocytose est effectué systématiquement aux Antilles. Il a fallu attendre 1991 pour que cette mesure soit étendue en Guyane et à La Réunion et 1992, pour Mayotte. Mais, en France hexagonale, le dépistage à la naissance n'est toujours pas systématique.
En novembre 2022, la Haute Autorité de Santé a recommandé la généralisation du dépistage de la drépanocytose à la naissance, notamment parce qu'il "existe des risques que certains nouveau-nés atteints de drépanocytose ne soient pas dépistés, en raison de difficultés dans l’application des règles de ciblage".
Une priorité de santé publique
En octobre 2022, le gouvernement a annoncé rendre systématique le dépistage de la drépanocytose "à titre expérimental, pour une durée de trois ans". Mais dans les faits, le dépistage reste très hétérogène selon les régions.
On nous avait dit que ce serait appliqué au premier semestre 2024, mais on est au mois de juin et on attend toujours. À chaque fois, c'est repoussé ou reporté.
Jenny Hippocrate
Jenny Hippocrate attend une chose : que la drépanocytose soit reconnue "priorité de santé publique". Une promesse faite par Emmanuel Macron lors de sa campagne électorale.
Malgré les obstacles, la présidente ne lâche rien. Dans un souffle, elle liste tout le travail qu'il reste à faire : campagne de sensibilisation, mettre la drépanocytose au programme des études de médecine, établir des partenariats avec les clubs sportifs, informer les jeunes en âge de procréer. Un programme bien chargé pour les années à venir.