Droits humains : l’avocate Michelle Jean-Baptiste propose une méthode concrète pour passer de la théorie aux actes

Michelle Jean-Baptiste
Pour les prochains 230 ans de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, l’avocate et auteure d’origine martiniquaise Michelle Jean-Baptiste vient de publier "Droits humains, passons à l’action !", un essai dynamique qui appelle à une mobilisation concrète.
Il y a 230 ans, en août 1789, la France proclamait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Et il y a un peu plus de 70 ans, les Nations unies adoptaient la Déclaration universelle des droits de l’homme (le 10 décembre 1948). Pour commémorer ces dates, l’avocate et auteure d’origine martiniquaise Michelle Jean-Baptiste publie un ouvrage qui revient de manière critique et approfondie sur les grands principes de la Déclaration de 1948.

Mais son livre "Droits humains, passons à l’action !" (Owen Publishing) n’est pas seulement un vade-mecum théorique sur les droits de l’homme. C’est aussi un appel à la mobilisation comportant, et c’est une première du genre, une méthode en sept étapes pour que lectrices et lecteurs s’engagent de façon concrète sur la voie de l’action, que ce soit dans leur quartier, leur pays, ou au niveau international. Conférencière, très active dans le milieu associatif en faveur de la parité, de la diversité et de la mixité inter-générationnelle, Michelle Jean-Baptiste répond aux questions de La1ere.fr.

Votre livre "Droits humains, passons à l’action !", c’est un cri d’alarme contre notre passivité collective devant la violation des droits de l'homme ?
Michelle Jean-Baptiste :
Plus qu’un cri d’alarme contre la passivité collective, je dirai que c’est un manifeste pour le passage à l’action individuelle et collective. Maintenant, je dois reconnaitre que mon livre est parti de ce constat de passivité face aux violations des droits humains. Ça en a constitué le point de départ. Que ce soit par lassitude, par défaitisme ou égoïsme ou par ce que les violences auxquelles nous sommes confrontés nous sidèrent littéralement ou encore par ce que l’on ne sait pas comment s’y prendre, il est clair que l’on ne bouge pas autant qu’on le devrait. Ce n’est pas un jugement de valeur. La vie n’est pas simple. Chacun fait comme il peut. Mais, c’est un fait : la défense des droits reste encore quelque chose de théorique pour la plupart d’entre nous. Elle est vécue comme "l’affaire des autres", que l’on préfère ne pas regarder en face par ce qu’elle nous fait peur ou parce qu’elle nous dérange. En fait, tant que l’on ne se sent pas directement concerné, on ne s’implique pas. On a beau être informé, on a beau être prévenu, on attend que le bateau coule pour colmater les brèches, mais c’est trop tard. Le problème est qu’en n’agissant pas, on prend non seulement le risque de perdre nos droits et libertés chèrement acquises, mais on facilite aussi la vie des obscurantistes, des extrémistes, des populistes, des fascistes de tout poil qui pendant ce temps gagnent du terrain, répandent leurs idées et multiplient les actes violents et inhumains un peu partout sur la planète. Si l’on ne bouge pas plus vite, c’est le Tsunami qui nous guette et nous risquons de ne plus avoir de quoi réparer les dégâts. Il nous faudra tout reconstruire.
 

Les droits humains sont des acquis fragiles, y compris dans des pays démocratiques comme la France. Tout peut très vite basculer et ce que l’on croyait faire partie de notre quotidien peut soudain se transformer en objet de reconquête.


C’est pour cela qu’il est de notre responsabilité, quels que soient notre âge, notre nationalité, notre situation personnelle ou professionnelle, en tant que parent, enfant, ami, voisin ou citoyen, en tant qu’humain tout simplement, de tout mettre en œuvre pour défendre les droits humains et de le faire maintenant, pour de bon, de manière concrète, sans attendre que d’autres s’en chargent à notre place ou qu’advienne la prochaine catastrophe historique.

Vous passez en revue, un à un, les 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, adoptée par les Nations unies. Lesquels sont les plus importants selon vous ?
Il est difficile de choisir parmi ces 30 articles car ils sont tous importants. Il n’y en a pas un de trop. On pourrait même en rajouter. Mais s’il fallait n’en choisir que deux ou trois, je choisirai d’abord l’article 1er parce que c’est celui qui pose les bases de l’égalité de traitement des êtres humains qui "naissent libres et égaux en dignité et en droits" et parce qu’il précise aussi un devoir, celui "d’agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité." Juste après, il y a aussi l’article 2 qui précise que chacun peut se prévaloir de tous les droits et libertés de la Déclaration "sans distinction quelque soit sa race, sa couleur, son sexe, sa langue, sa religion, son opinion politique, son origine sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation". L’égalité de traitement, la dignité, l’absence de discrimination, la conduite fraternelle sont le terreau qui rend possible le développement de tous les autres droits et libertés. Si on se contentait déjà de faire en sorte que juste ces deux premiers articles soient respectés on aurait fait les trois-quarts du chemin.
Ensuite, dans l’ordre d’importance, il y a l’article 19 qui consacre la liberté d’opinion et d’expression. C’est un droit essentiel. Sans possibilité d’avoir ses propres opinions et de s’exprimer librement, c’est à dire sans peur, comment peut-on invoquer ou exercer les autres droits humains ? Comment peut-on se défendre ?  C’est impossible. D’ailleurs le premier signe avant-coureur des dictatures est de limiter toutes les formes d’expression de la population, de bâillonner la presse, de sanctionner sévèrement toute voix différente. Vu à l’échelle du couple ou de la famille, la loi du silence, la loi brutale de l’interdiction d’exprimer une voix différente de celle du ou des bourreaux familiers est le premier acte de violence qui facilite d’autres actes inhumains. 

Quelque chose m’a interpellé dans votre ouvrage. La situation des droits des femmes semble particulièrement préoccupante dans le monde…
C’est effectivement une question très inquiétante car quel que soit le pays, le niveau de vie social des individus, les cultures, les gouvernements ou les religions pratiquées, les femmes restent, encore à notre époque, les personnes dont les droits sont les plus systématiquement bafoués et qui subissent le plus de mauvais traitements. Si l’on venait à en douter un chiffre est là pour nous rappeler l’ampleur du phénomène : 70%. C’est à peine croyable mais c’est bien 70% des femmes dans le monde qui sont victimes de violence au cours de leur vie. C’est plus de deux femmes sur trois. Ce chiffre fait froid dans le dos. Et cela commence dès la naissance avec des violences qui prennent toutes les formes. A l’heure où nous parlons, dans certains pays le fait de naître de sexe féminin peut encore être synonyme de mise à mort.
 

A l’heure où nous parlons, nombreuses sont les petites filles et les femmes, qui sur tous les continents, sont les "victimes privilégiées" si j’ose dire de la traite d’esclave, des violences et des mutilations sexuelles, des mariages forcés et des violences conjugales et de manière plus large de l’interdiction d’exprimer une pensée ou une opinion, du refus d’accès à l’éducation ou au droit de propriété, du refus d’accès aux soins, de l’interdiction de circuler, de marcher dans la rue, de conduire, de s’asseoir à la terrasse d’un café, de chanter, de danser, de jouer de la musique, d’exercer un métier, de choisir librement son conjoint, de choisir d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir.


Dans les pays où on les autorise à travailler et où elles sont censées bénéficier des même droits que les hommes, elles continuent de subir la discrimination à l’embauche, la précarité de l’emploi, le harcèlement moral ou sexuel au travail et sont toujours moins rémunérées que leurs homologues masculins à travail et à diplôme égal. Bien sûr il y a des avancées, on ne peut pas dire le contraire, mais la situation devient de plus en plus préoccupante pour les femmes elles-mêmes mais aussi pour les enfants qu’elles élèvent dans ce climat de tension et de peur continu et qui sont, garçons et filles, témoins et donc a minima victimes par ricochet des mauvais traitements subis avec toutes les conséquences traumatiques que cela peut avoir. Il ne faut pas baisser la garde sur ce sujet qui nous concerne tous. Ce n’est pas comme on l’entend trop souvent un sujet de "femmes pour les femmes", un sujet à la marge. C’est une urgence sociale et humaine qui concerne les hommes et les femmes et qui doit être défendu par l’ensemble de la communauté des humains, hommes et femmes, directement concernés ou non par les violences et les atteintes aux droits.

Vous relevez des "bonnes pratiques", et proposez des démarches et des exercices concrets pour un "nécessaire passage à l’action" dans le but de promouvoir les droits fondamentaux, quelles que soient par ailleurs les diversités de nos situations personnelles. Pouvez-vous en résumer quelques-uns ? 
Oui. Tout n’est pas négatif dans la défense des droits humains. Le constat n’est pas aussi dramatique que cela. Il y a des bonnes pratiques qui permettent de faire de réelles avancées et c’est grâce à elles que nous avons acquis les droits dont nous bénéficions aujourd’hui. Ces bonnes pratiques ne sont pas l’apanage de personnes ou de métiers qui seraient étiquetés "humanitaires". On pense trop souvent qu’être "défenseur des droits" signifie forcément être médecin ou avocat ou politicien ou journaliste avec une spécialité. C’est l’erreur commise le plus souvent. Or nous pouvons tous faire quelque chose, sans exception, chacun à notre niveau. Les défenseurs des droits c’est vous en votre qualité de journaliste lorsque vous relayez les informations qui vont permettre à des victimes d’être entendues ou d’avoir accès à une aide en ligne pour un problème de violence par exemple mais c’est aussi l’anonyme qui s’interpose dans le métro quand une personne est victime de discrimination ou de harcèlement, qui fait un don à une association pour favoriser l’éducation, qui donne un peu de son temps pour faire de la collecte de denrées alimentaires, qui va faire du soutien scolaire ou donner un coup de main pour repeindre un bâtiment, qui va relayer une information de soutien via son Facebook ou encore signer une pétition qui permettra de faire pression sur un gouvernement pour libérer une personne injustement incarcérée. Les bonnes pratiques sont à la portée de tous mais on ne sait pas toujours en quoi ni comment on pourra se rendre utile. C’est pour cette raison que dans mon livre j’ai proposé ces petits exercices concrets pour permettre à chacun de repérer d’abord les causes pour lesquelles il lui sera plus facile de se sentir impliqué et donc de s’engager, puis d’identifier les acquis et compétences qui pourront être facilement mis en œuvre pour le bien commun, et cela ne vise pas forcément des actions à l’autre bout du monde.
 

Agir pour les droits humains cela commence déjà à proximité, pour ses proches, son cercle d’amis. Ensuite on peut s’attaquer à ce que l’on pourrait faire pour sa ville, son pays, son continent, le monde. Ce qui est important, c’est de proposer du positif. Informer, dénoncer ce qui ne va pas bien, râler un bon coup ou s’indigner cela peut s’avérer utile mais seulement si c’est pour se mettre en mouvement et si l’on est en capacité de proposer quelque chose à la place.


Pour moi le meilleur modèle de "bonne pratique" à l’échelle personnelle et politique reste l’expérience de Nelson Mandela qui proposait de travailler ensemble pour renforcer le courage là où il y a de la peur, et la négociation là où il y a les conflits. D’ailleurs dans les exemples de bonnes pratiques à mettre en œuvre il y a le "Mandela Day". En cette journée proclamée par l’Unesco le 18 juillet de chaque année, chaque citoyen du monde est appelé à consacrer symboliquement 67 minutes de son temps à une œuvre au service de la collectivité, en mémoire des soixante-sept années que Mandela a vouées à sa lutte pour la justice sociale, l'égalité, la réconciliation et la diversité culturelle. Cela pourrait être une bonne façon de commencer à agir : 67 minutes, c’est à peine plus de dix minutes que le temps total d’un épisode de série télé !

"Droits humains, passons à l’action !", par Michelle Jean-Baptiste – Owen Publishing, 160 pages, 19 euros.