Emmanuel Macron et les Outre-mer, un lien abîmé à réparer "de toute urgence"

Soirée électorale sur les Champs de Mars du candidat et président de la République française Emmanuel Macron, réélu face à Marine Le Pen pour un second mandat avec plus de 58 % des voix.
Passés d'un vote massif pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour à un plébiscite en faveur de Marine Le Pen au second, les électeurs ultramarins ont créé la surprise et marqué leur fort rejet des politiques actuelles, à commencer par celles menées par le gouvernement d'Emmanuel Macron. Le président réélu doit, désormais, rebâtir la relation avec les Outre-mer.

"Quand vous êtes traversés d'un ressentiment très fort contre une politique et une personne qui incarne cette politique, vous êtes prêts à rompre la digue qui était celle du vote contre le Rassemblement national". Avec 58,3% des voix dans les Outre-mer en faveur de Marine Le Pen, l'image de la digue rompue choisie par Martial Foucault, titulaire de la chaire Outre-mer à Sciences Po, est limpide.

Résultat global Outre-mer du second tour

La présidente du Rassemblement national est arrivée devant le président sortant dans les Outre-mer, à l'exception des territoires du Pacifique où le vote classique, à droite, a vu Les Républicains s'éclipser au profit de LREM. Aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, son avance est même écrasante, avec près de 70% des voix en Guadeloupe. 

Contestation, plutôt qu'adhésion

Pourtant, ces territoires avaient largement voté pour Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise, au premier tour. Comment expliquer ce changement radical de couleur politique lors du second ? "Il y a eu une translation des électeurs, qui avaient voté pour Jean-Luc Mélenchon afin d'exprimer une contestation, sanitaire aux Antilles, sociale à La Réunion", explique Martial Foucault. "C'est un vote de contestation : au premier tour, Jean-Luc Mélenchon, au second tour, Marine Le Pen, qui serait alors une représentante antisystème.

Marine Le Pen a réussi, avec des thèmes habituellement portés par la gauche, à séduire des électeurs qui se sont dits qu'en votant pour elle, ils ne votaient plus pour l'extrême-droite.

Martial Foucault, titulaire de la chaire Outre-mer à Sciences Po

Martial Foucault, titulaire de la chaire Outre-mer à Sciences Po.

Mayotte, une contreperformance ?

Autre signe qui laisse penser que le vote ultramarin pour Marine Le Pen n'était pas forcément un vote d'adhésion : les résultats à Mayotte au second tourMarine Le Pen y a récolté 59,1% des voix contre 40,9% pour Emmanuel Macron, avec une abstention élevée de 54,5%. "Au regard de son score dans les autres territoires, Mayotte, c'est une contreperformance", estime Martial Foucault. "Elle n'arrive pas à capter une contestation qui lui aurait permis de s'imposer largement". Pour le politologue à la tête du Cevipof, les voix qui pouvaient être récoltées à Mayotte grâce aux thématiques de sécurité et d'immigration portées par le RN, l'avaient déjà été au premier tour. "Il n'y avait plus de réserves de voix", ajoute M. Foucault. 

La petite surprise, c'est qu'on aurait pu penser qu'un territoire comme Mayotte où Marine Le Pen a fait le déplacement et a réussi à capter les enjeux de sécurité et d'immigration, ferait un score exceptionnel. Finalement, elle est dans la moyenne de ses autres performances dans les territoires ultramarins.

Martial Foucault

Barrage contre Emmanuel Macron...

Pour le professeur de sciences politiques, c'est bien le signe que lien entre les électeurs ultramarins et le président sortant a été rompu. "En cinq ans, il n'y a pas eu d'amélioration sur des sujets comme l'inflation, qui va nécessiter une intervention en toute urgence." C'est là que Marine Le Pen a pu capter l'attention des électeurs ultramarins, grâce à l'évocation de problématiques communes aux territoires, comme la vie chère, l'inflation ou les inégalités sociales, habituellement portées par la gauche. "On aurait tort de penser que les électeurs de Marine Le Pen adhèrent à l'ensemble de son programme, analyse Martial Foucault, alors que non, ils ont plutôt picoré des thématiques que seule elle a portées dans cette campagne d'entre-deux tours."

...qui va devoir "recoudre la cicatrice"

Le constat a-t-il été compris par le président sortant ? "Ce vote m'oblige", a-t-il reconnu au soir du second tour. "Je pense que le score dans les Outre-mer obligera le prochain gouvernement à se saisir en urgence de la situation dans les Outre-mer", soulève le politologue." Ce vote de contestation, cela veut dire que le lien de confiance des citoyens ultramarins, vis-à-vis de leurs représentants, est profondément abimé. Donc, il faudra réparer, recoudre cette cicatrice." Avant de nuancer : "Il faudra attendre les résultats aux législatives, parce que ce sera le moment de la confirmation, ou non, de la percée des votes pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen."