"Ce vote m'oblige", a reconnu Emmanuel Macron lors de son discours après avoir remporté l'élection présidentielle dimanche 24 avril au soir. Il l'oblige, car ce n'est pas une vague de soutien qui l'a reconduit au pouvoir pour "cinq ans de plus", comme le scandaient ses partisans réunis sur le Champ-de-Mars, à Paris. Jamais l'extrême-droite n'avait été aussi forte en France. Jamais le Rassemblement national (et avant lui le Front national) n'avait obtenu de scores aussi élevés. Jamais la famille Le Pen n'était arrivée première en Outre-mer.
À l'issue de ce scrutin, le président de la République devra tirer les conclusions du vote ultramarin. Aux Antilles, à Mayotte et à La Réunion comme dans le Pacifique, les Français ont rechigné à se déplacer jusqu'aux isoloirs. Et ceux qui l'ont fait, alors qu'ils avaient plébiscité Jean-Luc Mélenchon au premier tour, ont cette fois-ci décidé de déposer le nom de Marine Le Pen au fond de l'urne. Outre-mer La 1ère revient sur les cinq enseignements de ce scrutin historique.
1Démobilisation générale des électeurs
Depuis l'annonce du taux d'abstention à l'échelle nationale lors de ce second tour (28 %), on s'interroge sur la vitalité de la démocratie française. Or, dans les Outre-mer, ce taux s'envole. Ce week-end, 51,3 % des Ultramarins ne sont pas allés voter. Certes, ce taux est plus faible qu'au premier tour (56 % des électeurs avaient alors boudé les urnes). Mais comparé à l'élection présidentielle de 2017, qui avait déjà vu Emmanuel Macron et Marine Le Pen s'affronter, la démobilisation s'accentue : en 2022, la participation a reculé de près de cinq points.
Malgré un frémissement de participation entre le premier et le second tour, le taux d'abstention dépasse les 50 % dans tous les territoires, exception faite de Wallis et Futuna (38,6 %), La Réunion (40,6 %) et Saint-Pierre et Miquelon (42,9 %). La participation y reste toutefois plus faible que dans l'Hexagone.
La démobilisation a été plus marquée dans le Pacifique. En Nouvelle-Calédonie, où les indépendantistes ont appelé à l'abstention, 100.000 votants s'étaient rendus aux urnes au second tour de l'élection présidentielle de 2017. Cette année, ils n'étaient que 76.000 à voter. À Wallis et Futuna, archipel du Pacifique qui vote traditionnellement plus que les autres territoires ultramarins, le taux d'abstention est dix points plus élevé qu'il y a cinq ans, à 38 %. En Martinique et en Guadeloupe, moins d'un électeur sur deux s'est déplacé ce week-end. En Guyane, l'abstention dépasse même les 60 %.
2Une percée historique de Marine Le Pen
Le scrutin de 2022 est marqué par la victoire historique de Marine Le Pen dans les Outre-mer français, un exploit pour la candidate d'extrême-droite, dont le père, Jean-Marie Le Pen, n'avait jamais réussi à convaincre les électeurs ultramarins. Entre le deuxième tour de 2017 et celui de 2022, le Rassemblement national a gagné 190.000 voix supplémentaires, se hissant au seuil symbolique des 500.000 électeurs. Un score inédit.
Une victoire à relativiser, néanmoins, car Marine Le Pen a échoué à recueillir plus de voix qu'en 2017 lors du premier tour. Elle qui s'est présentée comme la candidate du peuple face au président technocrate a profité de la proximité qu'elle a créé avec les départements d'Outre-mer lors de la campagne, tandis qu'Emmanuel Macron, pris par la guerre en Ukraine, restait à distance, en France métropolitaine. Elle a réussi à récolter les fruits de la colère des Ultramarins, moins conquis par son projet nationaliste et identitaire que par ses propositions pour améliorer le pouvoir d'achat.
Résultat : elle arrive en tête en Antilles-Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre et Miquelon, ainsi qu'à Mayotte et à La Réunion. Alors qu'Emmanuel Macron a recueilli 58,5 % du vote des Français, Marine Le Pen, elle, a obtenu 58,3 % du vote des Ultramarins. Un scrutin à contresens du choix national. Un plafond de verre qui s'est brisé.
Mes remerciements vont tout particulièrement à nos compatriotes des provinces et des campagnes, mais aussi des Outre-mer qui m'ont largement placée en tête du second tour avec une force extraordinaire qui m'honore et me touche sincèrement. Cette France trop oubliée, nous, nous ne l'oublions pas.
Marine Le Pen
Clairement boudée par les Antillais en 2017 - Emmanuel Macron y avait été plébiscité à plus de 75 % -, Marine Le Pen a, cette fois-ci, été choisie par les Guadeloupéens et les Martiniquais, avec respectivement 69,6 % et 60,9 % des suffrages. À La Réunion, elle a réussi à convaincre 130.000 personnes supplémentaires entre le premier et le second tour de voter pour elle : elle y a gagné vingt points comparé à l'élection présidentielle de 2017 (39,7 % des Réunionnais avaient alors voté pour elle). Seul le Pacifique fait figure de rempart à l'extrême-droite. Emmanuel Macron y est arrivé en tête. Pourtant, la Polynésie a, elle aussi, failli voir l'extrême-droite dominer : la candidate y a recueilli 48,2 % des voix.
3Le barrage contre l'extrême-droite n'a pas pris en Outre-mer
"Il ne faut pas donner une voix pour Madame Le Pen !". Le mot d'ordre avait été donné par la plupart des dirigeants politiques français, y compris par Jean-Luc Mélenchon, candidat d'extrême-gauche défait au premier tour de l'élection, mais dont les 22 % d'électeurs représentaient une réserve de voix convoitée par les deux finalistes. Outre-mer, c'est Marine Le Pen qui a réussi à capter le vote de gauche.
Au premier tour, le leader de la France insoumise était arrivé en tête dans les territoires d'Outre-mer, avec 40 % des voix. Mais qu'allaient donc faire ses électeurs pour le second tour ? Voter Macron, Le Pen ? Glisser une enveloppe vide ? S'abstenir ? "[Les Français] sont capables de savoir quoi faire, ils sont capables de décider ce qui est bon pour le pays", avait martelé le député de Marseille le soir de sa défaite, sans donner de consigne de vote claire.
Cet appel au barrage à l'extrême-droite ne s'est pas fait entendre Outre-mer. Jean-Luc Mélenchon avait attiré 330.000 électeurs au premier tour, arrivant en tête dans les territoires où, dimanche soir, c'est Marine Le Pen qui est arrivée première. Difficile de savoir combien d'électeurs de Mélenchon sont allés voter, ni ce qu'ils ont voté. Mais la démonstration purement numérique laisse à penser qu'une grande partie d'entre eux s'est résignée à choisir Marine Le Pen : entre les deux tours, Emmanuel Macron n'a gagné que 190.000 voix supplémentaires, quand la candidate du RN en remportait 327.000.
Lors de la soirée électorale sur France 2, la députée insoumise Mathilde Panot a d'ailleurs mis un mot sur ce vote mélenchoniste devenu lepéniste au second tour. Selon elle, l'antimacronisme, notamment aux Antilles, a été plus fort que la peur de l'extrême-droite.
Une analyse partagée par Martial Foucault, titulaire de la chaire Outre-mer à Sciences Po, interrogé par Serge Massau : "Les électeurs de Marine Le Pen dans les Outre-mer ne sont pas forcément anti-Europe, pour la préférence nationale, ni contre la menace identitaire qui pèserait sur le pays. On aurait tort de penser qu'ils adhèrent à l'ensemble de son programme. Ils ont plutôt picoré des thématiques qu'elle seule a portées dans cet entre-deux-tours, comme la cherté de la vie, l'inflation, les inégalités sociales."
4L'antimacronisme : grand vainqueur de l'élection
Les résultats ultramarins sont un désaveu cinglant pour le gouvernement. Arrivé en troisième position sur le vote Outre-mer au premier tour, derrière Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, le président de la République Emmanuel Macron a perdu les voix qu'il avait conquises en 2017 - il avait remporté 64,4 % des votes lors du deuxième tour, un score équivalent à son résultat national.
Après cinq années marquées par des crises sociales et sanitaire, la défiance l'a emporté. Pour la chaire Outre-mer de Sciences Po Paris, la percée de Marine Le Pen lors de ce scrutin ne représente pas un vote d'adhésion aux idées du Rassemblement national, mais plutôt un vote sanction contre Emmanuel Macron et son gouvernement.
En Martinique, le président sortant a perdu 60.000 voix entre 2017 et 2022. En Guadeloupe, il en a perdu 57.000. Dans l'océan Indien, il a reculé de 65.000 voix à La Réunion. La baisse est générale dans tous les territoires ultramarins. Emmanuel Macron en ressort affaibli. "Son score dans les Outre-mer va obliger le prochain gouvernement à se saisir de toute urgence de la situation dans les Outre-mer et de sujets comme l'inflation sur lesquels il n'y a eu aucune amélioration en cinq ans", estime Martial Foucault.
Le lien de confiance des citoyens ultramarins vis-à-vis de leurs représentants est profondément abîmé. Il va falloir recoudre la cicatrice.
Martial Foucault
5Dernier bassin à voter en faveur d'Emmanuel Macron : le Pacifique
Seule consolation pour Emmanuel Macron : il est arrivé en tête dans les trois territoires du Pacifique que sont la Polynésie française (51,8 % des voix), la Nouvelle-Calédonie (61 %) et Wallis et Futuna (67,4 %).
Comment expliquer ce résultat, qui dénote par rapport au reste des territoires ultramarins ? Le Pacifique soutient traditionnellement la droite républicaine, qu'a incarnée Les Républicains pendant des années - en 2017, François Fillon était arrivé en tête en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Mais avec l'effondrement des partis, Emmanuel Macron a capté l'électorat de centre-droit. Et donc les territoires français du Pacifique.
En Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes se sont fortement abstenus, comme ils l'avaient fait lors du référendum sur l'auto-détermination du 12 décembre 2021. Par conséquent, ce sont majoritairement les loyalistes, satisfaits de l'attitude du gouvernement à la suite du vote en faveur du maintien du Caillou dans le giron de la République, qui se sont déplacés dans les urnes, dimanche. Idem à Wallis et Futuna, où le vote en faveur d'Emmanuel Macron est un vote de raison, plus que d'adhésion.
"L'idée très claire à Wallis et Futuna, c'est que comme depuis toujours le besoin du soutien de l'état est prédominant, à partir de là, on va voter pour la continuité. D'ailleurs, durant ce dernier mandat, les parlementaires de l'archipel étaient proches ou se sont rapprochés de LREM."
Mikaa Mered, secrétaire général de la Chaire Outre-Mer de Sciences Po
En Polynésie, en revanche, le vent a commencé à tourner en faveur de l'extrême-droite. Le président est arrivé en tête. Mais d'un cheveu seulement. Entre les deux tours, Gaston Flosse, ancien président du fenua et figure politique locale toujours très influente, a décidé de soutenir Marine Le Pen. Une rupture symbolique pour l'ancien secrétaire d'État du gouvernement de Jacques Chirac entre 1986 et 1988. En 2002, le Polynésien avait soutenu le président sortant face au candidat qui s'était hissé par surprise au second tour : Jean-Marie Le Pen.