En Espagne, le triple sauteur guadeloupéen Enzo Hodebar prépare les JO de Paris 2024

Le Guadeloupéen Enzo Hodebar prend la pose pour La1ère.
Guadalajara. Espagne. En plein cœur de la péninsule. C'est ici que s'entraîne le triple sauteur guadeloupéen Enzo Hodebar. Dans le petit groupe du Français Benjamin Compaoré. Trois filles, un garçon et des ambitions légitimes à quelques mois du grand rendez-vous olympique de Paris 2024.

Enzo Hodebar a aujourd'hui 24 ans. Il a évolué. Comme tout le monde. Ainsi durant ses années collège ou lycée, l'idée d'aller vivre un beau jour en Espagne, ne l'aurait pas emballé. "L'espagnol était ma deuxième langue vivante. Et je n'aimais pas ça. J'étais même convaincu que je ne le parlerai plus jamais après le bac." Erreur. Sur toute la ligne. Septembre 2022 : le Guadeloupéen débarque à Guadalajara. "Je suis arrivé avec une base linguistique fragile. Et puis l'accent… Ils parlent tellement vite ici." Enzo aura besoin de quelques mois pour s'adapter. Jusqu'à sa rencontre avec Janet, sa nouvelle compagne. "Elle suit des études de finance dans la région. Elle a des origines espagnole et guinéenne. Janet m'a permis de mieux maîtriser la langue." Merci l'amour.

A gauche, Benjamin Compaoré et à droite, Enzo Hodebar. Benjamin entraîne Enzo mais les deux hommes sont également concurrents sur le sautoir comme ici en 2022 aux Mondiaux à Eugene aux Etats-Unis.

Auprès de Benjamin Compaoré

Bien avant de le rejoindre en Espagne, Enzo Hodebar s'entraînait déjà avec Benjamin Compaoré. "Ça a commencé en 2020, juste avant la pandémie de Covid. J'ai fait deux séances avec lui. En guise de test. Et tout de suite, ça a matché !" La particularité du champion d'Europe 2014 de triple saut ?  Une double casquette : coach et athlète. "C'est un atout intéressant. Benjamin peut se mettre à notre place. Il sait ce que nous ressentons. Et en compétition, le retrouver sur le même sautoir est un vrai stimulant." 

À Guadalajara, le Guadeloupéen n'a pas fait que changer de décor. Il a aussi pris le temps d'analyser tout ce qui le freinait dans sa progression. "J'avais notamment trop d'instabilité au niveau de mon poids. Des variations parfois de 3 à 4 kilos. Je souffrais par ailleurs d'insomnies à répétition. Tout cela avec beaucoup de déni." Tel un ingénieur de Formule 1 méticuleux, Enzo a pris le temps de déposer le moteur. Pour comprendre. Et réparer. "Le changement est total. J'ai un accompagnement avec un coach mental. Car j'intériorise beaucoup trop mes émotions. Je ne les exprime pas." Un coach mental pour mettre des mots. Expliquer. Sans oublier toute une équipe de spécialistes. Sur place. Pour performer. Sans blessure. Rester sur la piste. Toujours. Puis s'envoler.

De gauche à droite : Sokhna Galle, Yuliana Angulo (Equateur), Benjamin Compaoré, Janne Nielsen (Danemark) et Enzo Hodebar.

L'Espagne, un choc positif

En quittant l'INSEP, Enzo Hodebar a renoncé à un cadre unique. "Dans le bois de Vincennes, la prise en charge était intégrale : le médical, les kinés, la récup… Maintenant, le côté psycho ne se révélait pas terrible. C'est pour ça que partir en Espagne a représenté un choc positif." Grâce à ses résultats, Enzo bénéficie d'une aide financière de la part de sa Fédération. Pour le reste, il doit s'organiser… tout seul. "En effet, je dois tout faire. Mais ce n'est pas si désagréable au fond. Ça responsabilise."

Autre atout important : Benjamin Compaoré est l'époux d'Ana Peleteiro. Entraîneure/athlète comme son mari, elle a décroché le bronze au triple saut féminin des derniers JO de Tokyo. Et surtout, la championne espagnole a ses entrées un peu partout. "Nous avons notamment accès à l'équivalent espagnol de l'INSEP à Madrid. Ça aide quand la météo ici est trop mauvaise." Enfin, Ana connaît les bonnes personnes. "Grâce à elle, j'ai pu trouver un kiné juste à côté. Le meilleur que j'ai jamais eu. Puis un super ostéo. Et un nutritionniste. Avec mon père qui est spécialisé en micro-nutrition, j'ai une équipe au top." 

Le triple sauteur guadeloupéen Enzo Hodebar en pleine action lors des derniers Mondiaux à Budapest.

Paris 2024 dans le viseur

Pour le grand défi de l'été prochain, Enzo Hodebar n'envisage rien d'autre qu'un podium olympique. "Il faut toujours viser le ciel si l'on veut atteindre le haut de l'arbre." Le Guadeloupéen se révèle ambitieux… et pressé. "L'idéal serait de réaliser les minimas (17 mètres 22) dès la saison d'hiver en salle. Tout en marquant des points dans les grands meetings internationaux afin de se positionner idéalement au niveau du ranking." Il n'empêche que le triple sauteur ne peut actuellement compter sur le moindre sponsor. Comme beaucoup d'autres, il a dû lancer une cagnotte en ligne afin de financer son rêve olympique. "L'objectif est de récolter 30 000 euros." On croise les doigts pour lui. 

Vivre loin de Paris permet déjà de s'épargner la pression tricolore. "Surtout à quelques mois des Jeux. S'entraîner à l'INSEP en ce moment doit amener son lot de stress." En Espagne, le Guadeloupéen ne se sent pas à l'écart du monde pour autant. Bien au contraire. "C'est assez incroyable à imaginer mais ici à Guadalajara, je me trouve au cœur du monde du triple saut. Sur la piste, je côtoie des athlètes comme Alexis Copello, Yulimar Rojas, Jordan Diaz, Ivan Pedroso... J'ai l'occasion d'échanger avec eux. C'est fort."

Avec les derniers réglages apportés à son moteur de Formule 1 et après discussion avec tous les prestigieux techniciens autour de lui, Enzo Hodebar semble prêt à décoller sur la piste. Un triple décollage. Gagnant. En 2024.

Le triple sauteur guadeloupéen Enzo Hodebar.