"Quand on est arrivé ce matin, on pensait que c'était du brouillard." Mais le nuage blanc qui enveloppait le Domaine des Lacs d'Hostens en début de journée, jeudi 18 août, était en réalité de la fumée. Une fumée épaisse qui vient rappeler que, si les flammes qui ont détruit plus de 28 000 hectares dans la forêt des Landes entre juillet et août ont désormais disparu, l'incendie, lui, n'est pas encore éteint. Sous terre, la tourbe brûle toujours. Et l'objectif pour les sapeurs-pompiers ultramarins venus en renfort dans l'Hexagone en début de semaine est de localiser et traiter ces points chauds, afin d'éviter que le feu ne se propage dans le sous-sol.
Arrivés deux jours plus tôt sur site, les 41 pompiers ultramarins - 21 viennent de Polynésie, dix de La Réunion et dix de Mayotte - ont vite dû s'adapter aux forêts girondines, qui s'étendent sur des dizaines de milliers d'hectares en terrain plat. Un contraste avec les sols sableux polynésiens et les terres montagneuses et volcaniques des îles de l'océan Indien auxquels ils sont habitués. "Même si le terrain est différent (...), on n'est pas du tout perdu, avance le chef des Mahorais, le lieutenant Abdou Maoulida. On est pompier, on travaille sur tout type de chantier."
Sur le flanc du lac, les Polynésiens tronçonnent des arbres balayés par l'incendie. Par endroits, de la fumée sort du sol. Le feu a créé des puits de chaleur, où la température peut s'élever jusqu'à 800 °C. Un mauvais pas, et l'on peut soudainement s'enfoncer dans la terre brûlante. Ce matin-là, deux pompiers mahorais en ont fait les frais. Sans se brûler, rassure leur chef.
Promesse d'apporter la pluie
Gaston Tunoa, président de la Fédération polynésienne des sapeurs-pompiers, prend ce risque très au sérieux. "Je suis parti [de Polynésie] avec 20 hommes. Je suis donc parti avec 20 familles sous ma responsabilité", dit-il. L'homme de 56 ans, casque sur la tête, surveille chaque départ de fumée, chaque arbre penché qui menace de s'effondrer. "On est venu avec la promesse d'apporter la pluie", répond-il lorsqu'on lui demande pourquoi il s'est porté volontaire pour venir en aide aux pompiers de l'Hexagone.
Miracle polynésien ou simple coup de chance, depuis que les Ultramarins sont là, quelques pluies sont venues aider les soldats du feu dans leur lutte contre cet incendie presque invisible. Au camp de base des pompiers, à Hostens, les chefs d'opération restent attentifs. Dès ce week-end, les températures doivent repartir à la hausse et dépasseront de nouveau les 30 °C.
Pour nous, c'est une première (...) En temps normal, on traite un hectare, deux hectares... Ici, c'est plus de 7000 hectares, c'est gigantesque.
Caporal Soibaha Idrissa, pompier originaire de Mayotte
Dans la forêt, l'odeur de brûlé supplante tous les autres parfums. Le chant des oiseaux s'est arrêté. Seul le vrombissement des camions-citernes vient perturber le silence laissé par l'incendie. Les pompiers réunionnais, eux, sont positionnés près d'un chemin. À droite, tout a brûlé, à gauche les arbres ont été épargnés. "Il faut éviter que le feu passe sous la terre pour aller vers le vert [le côté préservé]", résume le sergent-chef Bertrand Boca, originaire de Saint-Paul.
Un de ses coéquipiers joue de sa lance pour créer une mare boueuse au-dessus d'un point chaud. Lorsque la mélasse cesse de faire des bulles, ils peuvent passer au suivant. Puis à celui d'à côté. Et ça, jusqu'à ce que toutes les fumerolles aient disparu. En espérant que le feu de tourbe ne reparte pas de plus belle.
Manuia !
Qu'ils viennent de la caserne de Pirae, de Chiconi ou de Saint-Denis, tous mettent en avant la fraternité propre à leur métier pour justifier leur présence en Gironde.
La vie d'un sapeur-pompier, c'est d'aider son prochain. Et donc, aider son prochain, c'est aussi aider son collègue.
Lieutenant Patrick Clain, chef des pompiers du bassin Réunion-Mayotte
Chaque matin, avant de retourner dans la forêt, les Ultramarins ont pris pour habitude de prier ensemble, main dans la main. Sous le regard parfois rieur, mais souvent curieux, de leurs collègues métropolitains, peu habitués aux coutumes des Outre-mer.
"C'est une véritable richesse de les avoir avec nous", tient à souligner le lieutenant Sylvain Rospars, officier de liaison qui connaît très bien les Polynésiens, lui qui a travaillé avec eux l'été dernier. Plusieurs pompiers originaires de l'Hexagone s'étaient alors envolés pour Tahiti afin d'aider l'archipel lors de la crise du Covid-19.
À la fin de la journée - qui commence généralement à 8 h du matin et se termine vers 20 h -, les pompiers d'Outre-mer, de l'Hexagone et de l'étranger se retrouvent autour d'une bière au camp de base d'Hostens. Un Polynésien s'amuse à trinquer avec ses collègues en tahitien, "Manuia !". On lui répond en retour : "Manuia !"
Leur séjour en Nouvelle-Aquitaine commence à peine que les 41 soldats du feu assurent déjà sans hésitation qu'ils resteront plus longtemps s'il le faut. Le caporal mahorais Soibaha Idrissa, qui vit sa toute première opération extérieure, résume très bien le sentiment de ses collègues ultramarins : "On est très fiers. On veut montrer aux autres qu'on est là (...), qu'on veut aider et que quand on aura besoin de nous, on sera toujours là."
Regardez notre immersion parmi les pompiers ultramarins dans ce reportage de Jean-Michel Mazerolle :