Sainte-Anne, en Guadeloupe. Basse-Pointe, en Martinique. Macouria, en Guyane. Saint-André, à La Réunion. Bouéni, à Mayotte. La superficie de ces communes littorales ultramarines diminue petit à petit au fil des années. L'océan grignote les terres, les vents redessinent les falaises, menaçant les populations humaines et animales. Au total, en France, 5.200 logements pourraient devenir inhabitables, voire être complètement détruits, d'ici à 2050. Parmi eux, plus d'un millier se situent dans les cinq départements et régions d'Outre-mer. En 2100, ce serait encore pire : 20.000 habitations seraient potentiellement atteintes en Guadeloupe, Martinique, Guyane, à Mayotte et à La Réunion.
Ces projections ont été réalisées par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui, dans deux rapports publiés vendredi 5 avril, dresse l'état des lieux de l'érosion côtière dans le pays, et envisage trois scénarios à l'horizon 2028 (court-terme), 2050 (moyen-terme) et 2100 (long-terme).
Si le nombre d'habitations en danger d'ici à 2028 est relativement limité, les anticipations pour 2050 sont inquiétantes. Et, dans l'hypothèse où rien n'est fait pour lutter contre ce grignotage des côtes, les pertes matérielles seraient énormes d'ici à la fin du siècle (plus de 500.000 hectares de perdus à l'échelle nationale). Il faut donc agir le plus rapidement possible.
Un phénomène qui s'accélère
"Ce scénario à 2100 nous fait constater que l’adaptation au changement climatique, ce n’est pas qu’un sujet de réaction au recul du trait de côte, mais c’est vraiment un enjeu d’aménagement des territoires littoraux", expose Sébastien Dupray, directeur "Risques, Eaux, Mer" du Cerema.
Invité sur TF1 jeudi soir, à la veille de la publication des rapports, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s'est voulu alarmiste : "L'équivalent d'un terrain de football (...) disparaît [chaque semaine] dans notre pays sous l'effet de la progression des océans. C'est un phénomène qui s'accélère", a-t-il prévenu.
En 2028, quelques départements seront touchés par l'érosion, boostée par le réchauffement climatique. La Corse, le Var et les Pyrénées-Atlantiques devraient être particulièrement concernés, tout comme la Guadeloupe et la Martinique.
Mais c'est bien pour 2050 que l'inquiétude grandit. La Guadeloupe serait alors le territoire français le plus touché par l'érosion côtière, avec 552 logements qui deviendraient inhabitables. La Martinique serait également concernée, avec 284 habitations menacées. Dans une moindre mesure, les habitants de la Guyane (167 logements), de Mayotte (109) et de La Réunion (78) subiront aussi le recul du trait de côte. Au total, 1.190 habitations sont menacées par l'érosion du littoral dans les territoires d'Outre-mer dans les 25 prochaines années.
Nouveauté par rapport à ses travaux précédents, le Cerema a chiffré le coût des dégâts concernant les logements menacés : 70,06 millions d'euros pour la Guadeloupe, 45,79 millions d'euros pour la Martinique, 29,06 millions d'euros pour la Guyane et 11,02 millions d'euros pour La Réunion (les experts n'ont pas estimé les dommages pour Mayotte). Par ailleurs, 349 locaux d'activité (restaurants, campings, magasins...) seraient touchés en Outre-mer, pour une valeur de 20,38 millions d'euros.
Réfugiés climatiques
Des milliers de personnes devront-elles donc quitter leur domicile ? Ce mouvement de réfugiés climatiques a d'ores et déjà commencé en Guadeloupe. À Petit-Bourg, les intempéries ont accentué les glissements de terrain, rendant la vie sur la côte trop dangereuse. Des familles entières ont dû être relogées. À Saint-Pierre et Miquelon, la montée des eaux inquiète le village de Miquelon, au nord de l'archipel. Les habitants se préparent déjà à déménager avant d'être complètement submergés.
"On a identifié 500 communes, on a commencé à travailler avec les maires qui sont le plus concernés, a annoncé Christophe Béchu. On travaille avec des plans sur-mesure : dans certains endroits, on peut mettre des dunes, dans d'autres, on peut imaginer des digues, mais dans d'autres, il faut dire qu'on aura des zones qui seront inhabitables."
L'insularité des territoires ultramarins rend la problématique de l'érosion encore plus délicate. "Sur certains territoires d’Outre-mer, la zone littorale est densément aménagée, souligne Sébastien Dupray, du Cerema. Et donc, pour 2100, la question de la recomposition territoriale, la question de l’aménagement du territoire, sera particulièrement prégnante, puisqu'on n’a pas vraiment de possibilité de recul, du fait, par exemple, d’une topographie qui est élevée, avec parfois des territoires qui ont une géographie de type volcanique, avec la bande littorale qui est la seule bande où on peut aménager de manière un peu massive."
Quelles solutions ?
Des solutions s'appuyant sur les caractéristiques naturelles des territoires existent pour atténuer les effets de l'érosion côtière. Plusieurs centres de recherche et universités ont recensé les projets lancés en Outre-mer au sein du projet ADAPTOM, qu'ils ont réuni dans une carte :
"Le premier point qu'on peut tirer de l’analyse (...) dans les Outre-mer, c’est d’abord le fait qu’il existe un savoir-faire technique bien établi, robuste, sur la re-végétalisation des hauts de plage", indiquait Virginie Duvat, professeure de géographie à La Rochelle Université, et membre du laboratoire LIENSs (Littoral, environnement et sociétés), à Outre-mer la 1ère en juillet 2023. Par exemple, dans les années 1990 et 2000, la Guadeloupe et La Réunion ont réussi à épargner une partie de leur littoral en restaurant la végétation.
"Une réflexion doit être menée pour mesurer et organiser dès à présent la solidarité nationale afin d’anticiper collectivement des effets potentiellement déstabilisant du changement climatique sur nos littoraux", conclut le Cerema, dont les travaux doivent alimenter le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique sur lequel travaille le ministère de la Transition écologique. Avant la fin de l'année, le gouvernement devrait intégrer dans le budget 2025 un dispositif pour financer la lutte contre l’érosion côtière et soutenir les propriétaires et collectivités impactés, comme le rappelait Sébastien Dupray lors de son audition devant la commission d'enquête sur la gestion des risques naturels dans les Outre-mer, jeudi 4 avril.