Tortues luth en voie de disparition en Guyane à cause de l'érosion côtière qui fait disparaître les sites de ponte ; l'îlet du Gosier en Guadeloupe menacé par la montée des eaux ; des habitants peut-être bientôt contraints d'être relogés... Avec le dérèglement climatique et la montée des eaux, les Outre-mer sont confrontés à de plus en plus de défis et de difficultés.
Face à ces risques, certains ont opté pour des solutions dites lourdes comme les cordons d’enrochement, ces entassements de blocs de pierre le long du littoral censés absorber la houle et bloquer l’érosion.
Ces techniques sont en fait un "échec qui est assez cuisant dans les Outre-mer" d’après Virginie Duvat, professeure de géographie à La Rochelle Université, et membre du laboratoire LIENSs (Littoral, environnement et sociétés). "Mal maîtrisés", "pas entretenus", ils "échouent à protéger quand les populations voient arriver à la côte des vagues cycloniques", estime-t-elle.
Rendre visible l'invisible
D’autres se sont tournés vers ce qu’on appelle les solutions fondées sur la nature ou SfN, comme la restauration de la mangrove, le bouturage de corail, ou la replantation d’espèces végétales endémiques (voir encadré en bas de page).
Réunis lors d’un forum Outre-mer du Conservatoire du littoral en 2020, ceux qui ont mis en place ces SfN ont exprimé le besoin de prendre un peu de recul et d’être accompagnés, chacun travaillant dans son coin pour l’instant. "Le but, c’était véritablement de répondre à ce besoin des acteurs de dresser un bilan, pour pouvoir ensuite s’assurer de partir sur de bonnes bases", résume Virginie Duvat.
L’autre problème, c’est que ces projets sont dans un angle mort pour l’instant. "Quand on a rédigé le chapitre 'Petites îles' du 6e rapport du GIEC, [...] on a été complètement incapable de dire quoi que ce soit sur les solutions fondées sur la nature, tout bonnement parce que les projets sont invisibles, constate la géographe qui y a participé. Donc il y a vraiment besoin de rendre visible l’invisible d’une part, et d’autre part de conduire une évaluation pour pouvoir dégager à la fois les forces et les faiblesses de ces projets."
ADAPTOM, c’est quoi ?
De là est né le projet ADAPTOM. L’universitaire de La Rochelle, qui coordonne le projet avec Alain Brondeau du Conservatoire du littoral, nous en explique les grandes lignes : "ADAPTOM, ça veut dire le retour d’expérience sur les solutions d’adaptation fondées sur la nature dans les territoires d’Outre-mer."
Lors de ce projet de trois ans, entre 2022 et 2024, des scientifiques se rendent dans les Outre-mer pour :
- recenser les solutions fondées sur la nature, et leur efficacité et leurs limites
- permettre la mise en réseau des différents porteurs de projets
- proposer des outils méthodologiques d’évaluation et de suivi.
En tout, ce sont plus d'une vingtaine de projets qui ont été étudiés, avec entre autres des visites et des entretiens sur le terrain... Voici une cartographie de 24 d'entre eux, il suffit de zoomer et cliquer sur les points pour connaître leurs noms et leurs objectifs :
Virginie Duvat et ses collègues n’ont pas terminé leur bilan mais peuvent déjà fournir des premières conclusions : "Le premier point qu'on peut tirer de l’analyse [...] dans les Outre-mer, c’est d’abord le fait qu’il existe un savoir-faire technique bien établi, robuste sur la re-végétalisation des hauts de plage."
Réunion et Guadeloupe, "deux pépinières"
Elle pense notamment à deux exemples, le premier à La Réunion avec un projet, commencé à la fin des années 90 "dans le but de reconstituer la végétation qui est attractive pour les pontes de tortues marines". Depuis, cette solution s’est étendue sur plusieurs sites entre Cap Champagne et l’Étang Salé. Mais "ce qui est intéressant, c’est que le savoir-faire construit est aujourd’hui remobilisé, pas seulement pour des tortues mais aussi pour réduire les risques côtiers", analyse la géographe.
Le deuxième exemple est celui de la Guadeloupe, où l’Office national des forêts (ONF) a lancé une restauration de la végétation côtière au milieu des années 2000, pour lutter contre l’érosion. De deux plages à l’origine (l’anse Cluny et l’anse Maurice), le projet s’est étendu sur de nouveaux sites.
Surtout, l’ONF a transmis son savoir-faire à un acteur privé, en l’occurrence le Club Med, qui a appliqué cette solution "sur son site de la Martinique" comme le montre la photo ci-dessus : "C’est quelque chose qu’on voit rarement sur des sites touristiques sur lesquels la végétation indigène a été intégralement défrichée pour pouvoir laisser place aux transats et aux touristes."
Ces deux îles sont pour Virginie Duvat "deux petites pépinières qui maîtrisent bien cette technique avec une forte capacité de transferts et d’extension dans l’espace donc c’est extrêmement encourageant pour l’avenir".
Des échecs à Mayotte ou à Wallis
La géographe explique ces réussites par plusieurs facteurs : le fait que le projet se fasse sur du foncier public appartenant par exemple à l’ONF ; l’obtention de financements variés ; ou encore l’implication de la population.
Quand l’un ou l’autre manque, on court parfois à l’échec. C’est ainsi le cas à Mayotte où des projets de restauration de mangrove ont échoué "parce que les éleveurs de zébus n’avaient pas été impliqués et les zébus ont dégradé les replantations".
Autre exemple à Wallis : "Une partie de la population était opposée aux solutions fondées sur la nature et beaucoup plus favorable – comme les élus de ces communes – aux enrochements, retrace Virginie Duvat. Ça a généré des phénomènes de vandalisme avec une destruction des pépinières qui avaient été mises en place pour produire des palétuviers et donc restaurer la mangrove."
Mais une des faiblesses récurrentes qui peut conduire à l’échec est le manque d’argent. Restaurer une mangrove jusqu’à sa maturité par exemple peut prendre 10 à 15 ans, "ce qui veut dire que les modes de financement actuels" qui s'étalent en général sur deux ou trois ans "sont totalement inadaptés", pointe l’universitaire. "On a donc des cas dans lesquels les financements sont interrompus pendant plusieurs années ce qui veut dire que le projet est laissé en plan", note-t-elle.
Ateliers en novembre aux Antilles
Le travail de Virginie Duvat et de ses collègues est désormais de poursuivre et terminer l’évaluation des quelque 25 projets, avant d’organiser des ateliers de restitution sur le terrain, "et pouvoir à partir de là en dégager des bonnes pratiques, éventuellement des recommandations, une potentielle feuille de route". "Le prochain atelier va avoir lieu du 7 au 10 novembre en Martinique et en Guadeloupe", sait-elle déjà.
Si le projet ADAPTOM sera terminé en 2025, les scientifiques veulent cependant laisser une trace. Un recueil d’une centaine de pages regroupant tous les projets sera publié, et une cartographie sera mise en ligne sur Internet. Des expositions seront également organisées, dont une peut-être à Paris dans un grand musée.
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- Une solution fondée sur la nature, c’est quoi ?
Les solutions fondées sur la nature (SfN) sont définies par l’Union internationale pour la conservation de la nature comme "les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité".
En gros, il s’agit de redonner toute sa place à la nature afin de limiter voire stopper des risques comme l’érosion côtière et la montée des eaux liées au réchauffement climatique. Comme le rappelle Virginie Duvat, cette nature joue un rôle de protection cruciale pour l’Homme, et ce à travers plusieurs écosystèmes : le récif corallien, les herbiers marins, les mangroves et la végétation côtière du littoral. "Ils rendent [ce service de protection côtière] d’une part en atténuant la houle qu’ils freinent, qu’ils amortissent avant qu’elle n’arrive sur les aménagements humains, précise l’universitaire.
Par ailleurs, le récif corallien "est un grand producteur de sédiments ; et les trois systèmes végétalisés qui sont à l’arrière de lui – herbiers, mangroves et systèmes côtiers végétalisés – ont quant à eux la capacité de capturer les sédiments".
Résultat : "en capturant les sédiments, ces écosystèmes ont la possibilité de se développer verticalement [...] et donc de compenser l’élévation du niveau de la mer" et ils annulent "du même coup ses effets dévastateurs sur les côtes". "Donc les projets que l'on étudie sont précisément les projets qui ciblent vraiment cet objectif de renforcement du service de protection côtière", conclut la géographe.