Encore très carboné, l'Outre-mer au défi de la transition énergétique

Usine de géothermie de Bouillante
Si la Guyane fait figure de bonne élève, contrairement à l'Hexagone, l'essentiel de l'énergie consommée en Outre-mer est fabriquée grâce à des énergies fossiles. Entre éloignement et insularité, les territoires ultramarins cumulent les difficultés pour verdir leur mix énergétique. Pourtant, les opportunités sont nombreuses, grâce au soleil, au vent et même aux volcans.

La dernière centrale à charbon d’Outre-mer, située au Moule, en Guadeloupe, abandonnera la houille fin 2025. Pourtant, les territoires ultramarins sont très loin d’avoir un mix énergétique décarboné. Si la Nouvelle-Calédonie était indépendante, elle serait l’un des pays les plus polluants du monde par habitant. "Devant le sultanat de Bahreïn", précise Frédéric Ducarme, chercheur en écologie et secrétaire général de la Chaire Outre-mer de SciencesPo. Contrairement à Bahreïn, la Nouvelle-Calédonie, comme l’ensemble des Outre-mer, ne produit pas de pétrole : elle doit l’importer, parfois de très loin, à bord de pétroliers qui, eux-mêmes, consomment du pétrole. Et contrairement à l’Hexagone, les territoires ultramarins ne peuvent pas compter sur le nucléaire : l’essentiel de l’électricité produite en Outre-mer est fabriquée grâce aux énergies fossiles.

"Les zones non interconnectées, pas seulement les Outre-mer, aussi la Corse et quelques îles au large de la Bretagne, sont restées dans un état préhistorique sur le plan énergétique. Elles avaient, jusqu’à une date récente, un mix énergétique essentiellement fondé sur le charbon et le fioul lourd", détaille Frédériric Ducarme. Sortir de ce modèle répond à un triple enjeu : écologique bien sûr, mais aussi économique et de souveraineté, puisque la France ne produit ni charbon ni pétrole et qu’en acheminer jusque dans les territoires ultramarins coûte cher.

 

On a un modèle qui n’a pas changé depuis les années 1950. Il y a un peu de solaire, un peu de biomasse, mais ça reste fondé sur la combustion. C’est un ballet de pétroliers permanent. Du pétrole qui traverse le monde entier, c’est un panier percé sur le plan budgétaire.    

Frédéric Ducarme, chercheur en écologie et secrétaire général de la Chaire Outre-mer de SciencesPo.

L'exception guyanaise

Parmi les territoires ultramarins, la Guyane fait figure d’exception. Le mix énergétique du territoire est très peu carboné. Il repose principalement sur un barrage installé sur le fleuve Sinnamary. Mis en service en 1994, "Petit Saut" fournit les deux tiers des besoins d’électricité de Guyane en alimentant un immense lac artificiel, grand comme trois fois la ville de Paris.

Le barrage de Petit Saut fournit 65 % de l'électricité de la Guyane

Mais ce qui est possible en Guyane n’est pas transposable ailleurs : le territoire ne manque pas d’eau (la ressource est importante et stable sur l’année) et il est peu densément peuplé (3,4 habitants au km², contre 348 à La Réunion par exemple), ce qui permet la construction de grandes installations. C’est le problème des Outre-mer : difficile de trouver une solution unique pour répondre aux besoins de territoires qui font face à des défis très différents.

"On est loin de l'autonomie"

Pour se passer du charbon d’ici 2025, la centrale guadeloupéenne du Moule mise sur la biomasse, soit de la matière organique, pour fabriquer de l’électricité. Inauguré à la fin des années 1990, le site, qui fournit environ 30% de l’électricité de Guadeloupe, tourne déjà en partie grâce à de la biomasse. "Ce sont des centrales qui fonctionnent avec une biomasse issue de la canne à sucre, qu’on appelle la bagasse", précise Nicolas de Fontenay, le directeur Antilles-Guyane d’Albioma, le groupe qui exploite l’installation. Problème : la bagasse – ce qui reste de la canne une fois broyée – n’est disponible que pendant la campagne sucrière, soit environ cinq mois par an.

"En dehors de cette période, on brûle du charbon", explique Nicolas de Fontenay. 140 000 tonnes par an précisément. Si les filières locales de déchets verts se développent, la production guadeloupéenne ne suffira pas pour alimenter la centrale en biomasse tout au long de l’année. "Tout ce qu’on ne pourra pas trouver localement, on va l’importer", détaille Nicolas de Fontenay, qui mise sur des granulés de bois venus "principalement d’Amérique du Nord".

La bagasse traitée par la centrale thermique "Albioma", à Trinité en Martinique

"Les Outre-mer, à part peut-être la Guyane, ne produisent pas assez de biomasse pour alimenter ces centrales, donc on fait venir des pétroliers chargés non plus de pétrole, mais d’huile de colza ou de choses comme ça, commente Frédéric Ducarme. Passer à la biomasse c’est mieux, mais ça reste de la combustion, donc on est loin de la décarbonation." Albioma estime néanmoins que l’abandon du charbon dans la centrale du Moule diminuera de 87% les émissions annuelles de CO2 du site, transport compris. 

Importer de quoi produire son électricité pose aussi la question de la souveraineté et de la sécurité de l’approvisionnement. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) de Guadeloupe pour la période 2016-2023 fixait des objectifs très ambitieux : atteindre 50% d’énergies renouvelables en 2020 et l’autonomie en 2030. "Aujourd’hui, sur le territoire de la Guadeloupe, on en est à 35% d’énergies renouvelables et on est loin de l’autonomie. On pense qu’on pourrait être à 100% renouvelable en 2028-2030", estime Nicolas de Fontenay, qui évoque une échéance "autour de fin 2040-2050" pour parvenir à l’autonomie.

Miser sur la mer, le soleil, les volcans

Certaines énergies correspondent mal aux contextes ultramarins. C’est notamment le cas de l’éolien, peu compatible avec le risque cyclonique. D’autres sont plus prometteuses. Frédéric Ducarme entrevoit "une marge de progression" pour le solaire, d’autant que cette énergie est particulièrement adaptée aux Outre-mer, où l’essentiel de la consommation d’électricité se fait en journée. "En métropole, la grosse dépense d’énergie c’est le chauffage le soir, en Outre-mer c’est la climatisation la journée, donc les pics de consommation correspondent aux pics d’ensoleillement", résume le spécialiste. Si une marge de progression existe pour le photovoltaïque, le développement se heurte au problème de la place disponible : additionner les petites unités ne suffit pas, pour réellement produire suffisamment, il faudrait mettre en place de grosses installations. Difficile dans des territoires où le foncier manque et où d’autres secteurs essentiels, l’habitat ou l’agriculture par exemple, sont en concurrence pour obtenir des terrains.

Une ferme photovoltaïque à Bellefontaine en Martinique (image d'illustration)

Autre piste : la géothermie, soit la production d’énergie à partir de la chaleur du sous-sol. "C’est quelque chose qui est encore sous-exploité, ça nécessite de gros travaux", souligne Frédéric Ducarme. Outre la géothermie classique, la géothermie volcanique, utilisée en Islande, pourrait être transportable à La Réunion, aux Antilles ou à Mayotte. "Ce sont des technologies encore en développement, on est loin d’un déploiement à grande échelle", relativise néanmoins le chercheur en écologie.

Reste la mer. On peut produire de l'électricité en utilisant la force des courants ou des marées. "On est sur des territoires insulaires, donc évidemment que la question de la mer se pose, pointe Frédéric Ducarme. C’est compliqué, car il y a beaucoup d’entretien, il faut compter avec l’action de l’eau et des animaux." Les installations, si elles permettent de décarboner la production d’énergie, peuvent par ailleurs mettre en danger la biodiversité.

Agir au cas par cas

Manque de place, frais colossaux pour acheminer les matériaux, absence d’autonomie… Aucune technologie verte n’est une solution miracle. "Le but, c’est d’avoir un mix énergétique varié et adapté à chaque territoire. Il faut faire du cas par cas", estime l'écologue, d’autant qu’il peut être dangereux de ne dépendre que d’un seul type d’énergie.

Pour Nicolas de Fontenay, même si le solaire ou la géothermie se développent, "il y a toujours besoin d’avoir des moyens de productions pilotables", c’est-à-dire une production en continu, qui peut être modifiée à la demande. "La vraie révolution ce sera le stockage, quand on arrivera à stocker de gros volumes d’énergie dans de petites capacités", prédit-il. "Aujourd’hui le seul stockage que l’on connaisse ce sont les batteries. Si vous voulez rendre une zone insulaire autonome, il faudrait des immeubles de batteries", ce qui pose des problèmes "en termes d'environnement et en termes de sécurité."