Difficile de comparer un atoll isolé à un territoire grand comme l’Inde, des terres peuplées de centaines de milliers de personnes et d'autres habitées à peine quelques mois dans l’année... Pourtant, les Outre-mer ont un point commun : ils sont un angle mort de la géopolitique, alors qu’ils jouent un rôle essentiel sur la scène internationale. C’est la thèse défendue par Fred Constant, ancien diplomate et désormais professeur à l’université des Antilles, dans son essai "Géopolitique des Outre-mer, entre déclassement et (re)valorisation", paru aux éditions Le Cavalier Bleu le 12 janvier dernier.
"Les Outre-mer ne sont pas considérés comme une composante à part entière de l’ensemble national", estime Fred Constant. C’est le cas en France, mais aussi dans les autres pays qui ont des territoires ultramarins, comme l’Espagne, le Portugal, la Russie ou les États-Unis. "Beaucoup d’Américains continentaux ignorent que Porto Rico est un territoire américain", assure Fred Constant.
Combien de citoyens étasuniens pourraient citer leurs 'overseas territories' ? Combien de leurs homologues français ou britanniques, espagnols ou portugais pourraient en faire de même ?
Fred Constant
Des relais de puissance
Les Outre-mer participent aux politiques internationales des États qui les administrent. Tout d’abord parce qu'ils disposent de nombreuses ressources, notamment minières, en termes de main-d'œuvre, de zones économiques exclusive (ZEE) ou de biodiversité. "C’est stratégique la biodiversité, car la compétition se fait aussi dans ces termes : ‘qui sera le plus vertueux?'", pointe Fred Constant.
Ces territoires permettent aussi aux grandes puissances de projeter leur force militaire partout dans le monde ou de se positionner dans le domaine du spatial. Ce caractère stratégique n’est pas nouveau. Les Outre-mer ont par exemple joué un rôle majeur pendant la course aux armes nucléaires : c’est parce qu’ils étaient isolés, peu peuplés et soumis à des législations plus souples que des puissances comme la France ou les États-Unis ont réalisé leurs tests nucléaires dans leurs territoires ultramarins.
Fred Constant voit dans les Outre-mer un "miroir grossissant" des logiques à l’œuvre dans l’évolution de l’ordre mondial. Alors que la rivalité entre la Chine et les États-Unis s’installe comme point structurant de la géopolitique, les puissances occidentales se désengagent de leurs territoires atlantiques pour investir l’Indo-Pacifique. Les États-Unis ont notamment démantelé leurs installations militaires à Porto Rico pour les redéployer ailleurs. Cette "revalorisation stratégique" concerne aussi les Outre-mer français : dans ses récents vœux aux armées, Emmanuel Macron a annoncé que la présence militaire française sera prochainement renforcée dans les Outre-mer de la zone Indo-Pacifique.
Les territoires ultramarins permettent aussi à leur métropole de démultiplier ses appartenances régionales. Grâce à ses Outre-mer, la France peut se positionner sur des sujets variés –de la déforestation amazonienne en passant par l’exploitation des fonds marins- et entretenir des relations transfrontalières avec des pays très éloignés de son centre.
Une autonomie relative
"En théorie, les Outre-mer n’ont pas d’existence légale en politique internationale. Territoires non souverains, ils n’entretiennent pas en principe de relations internationales autonomes", rappelle Fred Constant. En pratique, même si c’est souvent la métropole qui impose ses vues, certains Outre-mer ont pu lier des relations diplomatiques au niveau régional. Mais ces cas restent rares. "Il faut faire comprendre aux puissances qu’elles ont intérêt à s’appuyer sur leurs Outre-mer pour démultiplier leur influence dans le monde", plaide l’universitaire, qui considère qu’il faut "utiliser la connaissance qu’ont les populations des Outre-mer de leur environnement régional" pour peser davantage dans le concert des nations.
La France s’ouvre à peine à cette idée de pleinement intégrer les Outre-mer dans sa politique internationale. Il y a eu des évolutions mais nous avons beaucoup de progrès à faire.
Fred Constant
Les compétences des collectivités d’Outre-mer françaises ont été renforcées après les états généraux des Outre-mer, organisés en 2009. Elles peuvent désormais signer des accords avec des pays tiers et adhérer à des organisations de coopération internationales. Des territoires ultramarins peuvent aussi affecter des représentants dans les ambassades de leurs régions. C’est par exemple le cas de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, représentées à l’ambassade de France en Australie.
Si les Outre-mer s’impliquent de plus en plus, Paris garde le dernier mot et leur accorde ou non de l’autonomie sur la scène internationale en fonction de ses intérêts. Par exemple, si la France soutient la relation entre La Réunion et l’Inde et entre la Nouvelle-Calédonie et l’Indonésie, elle tente de freiner celle qui lie la Chine et la Polynésie, notamment en tentant de limiter les investissements chinois sur le territoire.