"Faire la paix" : un texte inédit de Michel Rocard consacré à la Nouvelle-Calédonie

Michel Rocard, lors des entretiens pour ce livre, en 2001, était alors parlementaire européen

Alors que débutent ce mercredi 26 mai à Paris des discussions sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, un texte inédit de Michel Rocard sur la situation du Caillou, intitulé "Faire la paix", paraît aux éditions "Double ponctuation".

"Faire la paix", c'est le titre de ce texte inédit d'une centaine de pages qui paraît aux éditions "Double ponctuation", alors que ce mercredi 26 mai s'engagent à Paris des discussions sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Michel Rocard, décédé en juillet 2016, avait été interviewé en mai et juin 2001 par la journaliste Odile Conseil, pour un projet d'une collection de trois livres sur les "faiseurs de paix" qui n'avait finalement pas vu le jour. Le texte était donc resté inédit.

Contacté par Outre-mer la 1ère, Odile Conseil témoigne : "En 2001, Michel Rocard m'a reçu à quatre reprises pour raconter comment il avait négocié la paix en Nouvelle-Calédonie, en 1988. Il avait conservé un souvenir très fort de cette période et, partant de l'exemple calédonien, avait élaboré une théorie sur la manière de faire la paix. Il avait une mémoire vive de tout cela. Il se souvenait de tout, parfaitement".

"Je ne connaissais rien"

Michel Rocard raconte le contexte qui l'a amené à être l'artisan de la paix. En 1988, il est nommé Premier ministre par François Mitterrand. Leur premier entretien, à l'Elysée, est rapporté ainsi : "Je lui demande si le dossier néo-calédonien va être suivi par l’Élysée. Sans une seconde d’hésitation, il m’affirme : C’est un dossier gouvernemental classique, vous vous en chargez."

Michel Rocard le reconnaît sans langue de bois :

Je ne connaissais rien à la Nouvelle-Calédonie, sauf ce que je pouvais en lire dans les journaux. Je n’y étais jamais allé, et rien ne m’avait jamais amené à m’en occuper de manière plus précise.

Michel Rocard, "Faire la paix"

 

Souveraineté-association

Michel Rocard confie qu'il avait une conviction de départ pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie :

À moi, arrivant à la tête du gouvernement, il me semblait bien que la piste de la souveraineté-association ou de quelque chose qui lui ressemblait était la bonne, mais comment la vendre ?

 

La mission du dialogue

Il explique ensuite avec énormément de précisions et de détails, parfois rocambolesques, comment il a mis sur pied la "mission du dialogue", chargée de se rendre sur le Caillou, puis comment, une fois le dialogue renoué, il a accueilli les délégations caldoches et kanak à Matignon : "Je les accueille en leur tenant en substance ce discours : Voilà, nous sommes samedi soir ; je suis libre jusqu’à mardi midi. Il y a ici de quoi manger, de quoi dormir, mais il n’y aura pas d’autre rendez-vous. Nous sortirons d’ici au plus tard mardi midi avec la paix ou la guerre."

La suite est connue, avec la fameuse poignée de main entre Lafleur et Tjibaou et la signature des Accords de Matignon. En 2001, lors de cet entretien qui a abouti à ce texte inédit, Michel Rocard confiait : "Aujourd’hui, plus de dix ans après, je reste un des grands fervents des Accords de Matignon. Mais leur mise en place n’a pas été évidente."

La Calédonie en 2001

Louant également l'Accord de Nouméa de 1998, Michel Rocard explique qu'il a pu se rendre quelques mois avant l'entretien sur le Caillou pour constater l'évolution de la situation : 

"J’ai eu l’occasion de retourner en Nouvelle-Calédonie ce printemps 2001. J’ai été stupéfait par le dynamisme économique, beaucoup plus fort que je ne le croyais. Politiquement, le territoire ne va pas très bien ; il y a des bisbilles au sein de chaque communauté ; la direction un peu ferme de Jacques Lafleur est contestée ; côté kanak, il y a des scissions ; le FLNKS n’a pas retrouvé un chef ayant la carrure de Tjibaou. Mais on sent sur le territoire une réelle vitalité économique (...) Mon sentiment est qu’il existe aujourd’hui un équilibre. La politique n’est plus menaçante ; elle est tombée à un niveau de médiocrité habituel dans la démocratie. C’est désormais la société civile qui assure la cohésion et le développement du territoire."

Faiseur de paix

Dans la deuxième partie de ce court ouvrage, Michel Rocard tire les leçons de la situation calédonienne pour établir "une méthodologie et un regard sur ce qu’on peut appeler l’art de la paix." Il faut notamment évoquer frontalement "le tabou majeur". En l'espèce pour la Nouvelle-Calédonie les termes de "souveraineté" et "d'indépendance". Il faut aussi pouvoir "négocier en secret", explique-t-il, loin des médias. 

La paix, c’est la négociation, c’est le courage de céder sur certains points au nom d’un objectif plus essentiel, le courage de transformer l’ennemi en interlocuteur.

Michel Rocard