[Festival d'Avignon] Dramaturge haïtien, comédienne martiniquaise "Moi, fardeau inhérent" : pièce radicale, interprétation puissante

"Moi, fardeau inhérent" est un spectacle seul-en-scène sur la violence faite aux femmes, une pièce écrite par un homme, le dramaturge haïtien Guy Régis Junior et interprété par la comédienne martiniquaise Daniely Francisque au festival d'Avignon. 

"Moi, fardeau inhérent" en une phrase :

Une nuit de pluie, une femme dépose son fardeau de souffrances sous la fenêtre d’un homme, une "charogne" qu’elle attend avec, dans la main, l’orage et le glaive. 

Critique

Dans l’obscurité d’une salle de théâtre, le public est convié à partager le fardeau de souffrances d’une femme seule sous la pluie. Obscurité du théâtre et de la nuit, texte limpide et tendu comme couteau à cran d’arrêt, personnage à cran, plongée dans l’abîme qui résume histoire, viol, oppressions.

Le public ne fuit pas. Le texte le retient, l’interprétation souveraine le captive. La comédienne mime de dos une scène de viol ruisselante sous la pluie et un projecteur en douche. Elle est seule avec son fardeau, "corps violenté qu’on marchande".

Pas de plainte. C’est une "femme puissante" expression rendue célèbre par l’écrivaine Marie Ndiaye. Son roman, qui lui a valu le Prix Goncourt en 2009, a forgé comme caractère inébranlable la "femme puissante" : vie marquée par l’Histoire (la grande) comme par sa propre histoire, elle a traversé les affres des années et sa réussite ne tient qu’au fil du langage. Sa langue est son émancipation, sa force et sa rectitude. La confiance en elle luit tient lieu d’espérance.

"Moi, femme debout, je ne reculerai pas", prévient l’héroïne solitaire. Guy Régis Junior, auteur du texte, ne mâche pas ses mots. Il fait dire à son héroïne qui attend son homme charogne :
 

Mon beau je te serai amère. Je te serai orageuse, dégoûtante, répugnante, nauséeuse, pestilentielle, putride, avariée. Mon beau je souhaite que tu me rejettes, me vomisses. Et moi aussi que je te vomisse. Charogne ! Toi, la vermine ! Sors, viens mon beau


Par sa scansion résolue, le personnage prend appui sur les mots du texte, comme s’il en tirait son énergie. C’est fascinant et d’une aveuglante clarté.

"Moi, fardeau inhérent", de Guy Régis Jr, mise en scène et interprétation Daniely Francisque, produite par la compagnie Track, coproduite par Tropiques Atrium à Fort-de-France et jouée au Théâtre du Train bleu, Festival d’Avignon Off jusqu’au 24 juillet. Relâches les 11 et 18 juillet.