Pierre-Artières Glissant n’échappe pas à la malédiction familiale : être un intellectuel. Étudiant en école préparatoire de lettres à Paris en option théâtre, le petit-fils d'Edouard Glissant lit beaucoup et s’intéresse au thème du métissage. La malédiction est aussi le thème du roman Absalon, Absalon ! de William Faulkner. Le livre retrace la vie de Thomas Sutpen, propriétaire d’une plantation dans le sud des États-Unis et dont la descendance est frappée par l’inceste et le fratricide.
Ce chef-d'œuvre de la littérature américaine, dont l’intrigue se passe au temps de l’esclavage, avait aussi inspiré à Edouard Glissant son essai Faulkner, Mississipi. C’est dire si son petit-fils avait toute sa place dans le Absalon, Absalon ! mis en scène par Séverine Chavrier.
« Ce qui m’intéressait, c’était de faire un travail de fond sur l’œuvre de mon grand-père »
Pierre Artières Glissant ne se destine pourtant pas à être acteur. Il souhaite réaliser des films documentaires. Un format qui, à son sens, autorise davantage de liberté. C'est grâce à une amie qu'il fait la connaissance de la metteuse en scène Séverine Chavrier, avant de se voir propulser sur les planches : "J’ai trouvé le projet tellement fou et attirant que j’ai été obligé de dire oui."
Ce qui m’intéressait, c’était de faire un travail de fond sur l’œuvre de mon grand-père. Pendant la création, j’ai surtout lu ses romans qui sont assez méconnus, parce que peu republiés. J’ai découvert aussi toute la place que Faulkner avait chez mon grand-père à travers ses romans. Par exemple, son roman Le quatrième siècle, on peut le voir comme un Absalon de l’autre côté. C’est-à-dire une tragédie familiale qui s’étend sur des générations, du côté des esclaves et non des planteurs.
Pierre Artières Glissant
Ce n’était pas prévu au départ, mais après plusieurs séances de travail et d’improvisation, Séverine Chavrier lui propose de jouer le rôle d’Henry, le fils de Thomas Sutpen.
Pour moi, c’était un peu comme si j’avais joué le fils d’un béké et donc au début ça a été un peu violent de totalement changer d’imaginaire, de ne pas jouer un personnage qui est favorable à mes idées. Mais c’est le jeu du théâtre, aussi.
Pierre Artières-Glissant
Grand-père et petit-fils
Pierre partage beaucoup de la pensée d’Edouard Glissant, mais il a aussi partagé son intimité. "J’avais sept ans quand il est mort. J’en ai des souvenirs pas du tout intellectuels", s’amuse-t-il. On regardait des films hollywoodiens ensemble. Par exemple, il était fan du film Alien [rires]. C’est assez marrant qu’une dizaine d’années après, un spectacle qui convoque à la fois Glissant et tout un imaginaire hollywoodien soit joué."
Absalon, Absalon ! version Glissant
L’adaptation d’Absalon, Absalon ! par Séverine Chavrier n’a rien de littéral. La pièce, au jeu et à la scénographie exceptionnels, évoque aussi bien les États-Unis au temps de l’esclavage que le racisme dans notre monde contemporain. Et les références aux écrits d’Edouard Glissant y sont nombreuses. Dans la dernière scène, l’un des personnages veut indiquer la destination "tout monde" au GPS de sa voiture.
C’est vrai que j’ai beaucoup lu Absalon à travers la lecture qu’en fait Glissant dans son livre "Faulkner, Mississipi", qui est somptueux. D’ailleurs, il dit lui-même que Fauklner inspire les gens qui écrivent sur Faulkner.
Séverine Chavrier
On ne peut imaginer que la présence du petit-fils d’Edouard Glissant dans la pièce Absalon, Absalon ! soit totalement fortuite. Séverine Chavrier préfère surtout parler de sa rencontre avec l’apprenti comédien : "J’ai aimé son intériorité, son élégance et son silence."
Absalon, Absalon ! se joue jusqu’au 7 juillet à Avignon.
La pièce sera également au théâtre de l’Odéon à Paris du 26 mars au 11 avril 2025