Fonction publique : dans les DROM, les métropolitains surreprésentés aux postes à responsabilité

Les personnes nées dans l'Hexagone sont surreprésentées dans les postes à responsabilité dans la fonction publique dans les DROM.
Non seulement les métropolitains occupent bien plus souvent des postes d'encadrement que les personnes natives des Outre-mer aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion, mais accéder à ces postes est plus facile pour les premiers que pour les seconds, y compris à niveau de diplôme égal.

Lucas est né dans l'Hexagone. Olivier est originaire d'Outre-mer. Ils ont le même niveau d'études et pourtant, Lucas a plus de chances d'accéder à un poste d'encadrement dans la fonction publique aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion qu'Olivier. Lucas et Olivier n'existent pas, mais leur exemple illustre les travaux de Marine Haddad, sociologue à l'Institut National d'Études Démographiques, qui a étudié l'emploi public aux Antilles, en Guyane et à La Réunion.

Proportionnellement, les métropolitains sont bien plus nombreux à exercer des postes d'encadrement dans le public en Outre-mer. Sur la période 2014-2019, 40% des métropolitains travaillant dans la fonction publique en Martinique occupaient un poste d'encadrement, contre seulement 10% des ultramarins. Ces chiffres se retrouvent en Guadeloupe (34% contre 10%), en Guyane (25% contre 6%) et à La Réunion (45% contre 11%).

L'écart s'explique en partie par le niveau d'étude. "Les niveaux de diplômes moyens des populations des DOM historiques sont inférieurs aux niveaux de diplômes des personnes nées dans l’Hexagone, rappelle Marine Haddad. On pourrait se dire ‘c’est normal, les métropolitains viennent répondre à un besoin en emplois qualifiés que potentiellement les ultramarins ne pourraient pas satisfaire, parce qu’ils n’ont pas le même niveau de diplôme.'"

Des discriminations à niveau de diplôme égal

Mais le diplôme n'explique pas tout. Des différences marquées apparaissent même si l'on ne compare que des personnes ayant une formation équivalente. À La Réunion, 60% des métropolitains qui ont un Bac+2 ou 3 occupent un poste d'encadrement, contre seulement 35% des ultramarins. En Guadeloupe, un métropolitain sur deux occupe ce type de poste, contre un ultramarin sur quatre. En Guyane, seuls 15% des salariés originaires des DROM et détenteurs d'un Bac+2 ou 3 occupent un poste d'encadrement, contre 31% des métropolitains. 

À ces niveaux de diplôme, bac+2, bac+3, BTS, les métropolitains arrivent à accéder à des postes d’encadrement, et les Ultramarins qui ont les mêmes niveaux de diplômes, eux, n’arrivent pas à accéder à ces postes.

Marine Haddad, sociologue.

Répartition des types d’emplois occupés par les personnes travaillant dans le secteur public et ayant un diplôme de niveau bac+3 ou bac+4 selon le DOM et le lieu de naissance.

Ces différences s'amenuisent à mesure que le niveau de qualification augmente : lorsqu'ils ont un Bac+5, les ultramarins et les originaires de l'Hexagone atteignent les postes à responsabilité de manière équivalente. "On arrête de voir des différences si l'on prend les hauts fonctionnaires, les diplômes de niveaux masters ou des gens qui ont fait des grandes écoles", résume la chercheuse.

Ressentiment

La surreprésentation des métropolitains dans la fonction publique est source de ressentiment. Le sujet avait par exemple été débattu lors de la grève générale en Guadeloupe en 2009. "On pousse beaucoup les personnes des DROM à s’installer dans l’Hexagone, au moins provisoirement, pour se qualifier, pour faire des formations. On leur dit 'pour trouver du travail, il faut bouger', et en même temps, des métropolitains viennent s’installer pour occuper des emplois en Outre-mer", détaille Marine Haddad.

L'inégal accès aux postes à responsabilité se retrouve aussi dans le secteur privé. À La Réunion, le niveau d'écart y est par exemple plus important. Mais le sentiment d'injustice est renforcé dans le public, car la discrimination se heurte à l'idéal méritocratique associé à ce secteur, réputé plus juste car protégé par le mode de recrutement par concours ou l'avancement via l'ancienneté.

"Persistance du colonial"

La sociologue voit dans ces discriminations une "persistance du colonial". Plus qu'une dépréciation des personnes originaires des Outre-mer, il s'agirait d'une valorisation, plus ou moins consciente, de la métropole. "J’ai l’impression que ces formes d’inégalités prennent un détour, en passant par une valorisation de l’Hexagone par rapport aux Outre-mer, détaille-t-elle. On va penser que l’expérience acquise en métropole, qu’elle soit une formation ou une expérience professionnelle, va avoir davantage de valeur que celle qui est acquise dans les Outre-mer". 

L'inégal accès aux postes d'encadrements perdure. "Il n’y a pas eu de diminution de ces écarts dans la période récente", explique Marine Haddad, qui a notamment étudié le début des années 2000. "Les universités sont meilleures dans l'Hexagone", "la culture du travail n'est pas la même"... Ces clichés n'épargnent pas les autres territoires ultramarins. En Nouvelle-Calédonie, des mesures ont été mises en place pour lutter contre les discriminations à l'embauche. Depuis 2010, la loi impose de privilégier, à niveau de compétences égales, les résidents calédoniens en cas de recrutement