De Frantz Fanon aux Black Panthers : Alger, "capitale de la révolution", dans le livre d’Elaine Mokhtefi

La journaliste américaine Elaine Mokhtefi
Dans son livre "Alger, capitale de la révolution, de Fanon aux Black Panthers", la journaliste américaine Elaine Mokhtefi revient notamment sur le rôle du psychiatre et théoricien politique martiniquais dans la lutte pour l’indépendance algérienne.
À la librairie Libertalia de Montreuil en région parisienne (12 rue Marcelin Berthelot), en cette soirée du 6 juin, l’assistance est sous le charme d’une dame de 90 ans. Elaine Mokhtefi dispose d’une remarquable lucidité et de toute sa mémoire, jusque dans les moindres détails. Elle vient présenter son livre « Alger, capitale de la révolution, De Fanon aux Black Panthers » (La Fabrique éditions), récemment traduit de l’anglais.

Née Elaine Klein à New York en 1928, dans une famille juive de la classe ouvrière, mariée plus tard à un cadre de l’Armée de libération nationale algérienne devenu écrivain, Mokhtar Mokhtefi (décédé en 2015), la vie de cette militante anticolonialiste est un véritable roman d’aventure. Après ses études à New York, elle débarque à Paris en 1951, où elle est effarée par le racisme, les discriminations et les violences que subissent les Algériens en France. Cela ne lui rappelle que trop « ce que les Afro-Américains vivaient dans le sud des Etats-Unis », dit-elle.
 

"Fanon était exemplaire"

Elle se rapproche alors des Algériens de France engagés pour l’indépendance de leur pays. Elaine Mokhtefi est aussi très impliquée dans l’Assemblée mondiale de la jeunesse, une organisation internationaliste. A ce titre, elle voyage beaucoup pour préparer des rencontres à l’étranger. C’est là qu’elle rencontre le Martiniquais Frantz Fanon, en août 1960 à Accra, au Ghana. Et l’homme, alors ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) pour l’Afrique, lui fait forte impression.
 

« Fanon était passionné, qu’il s’agisse de psychiatrie, de politique ou de football », écrit-elle. « L’impression générale qu’il dégageait était celle d’un homme intense, tendu et pressé.  


Notant son ascension fulgurante dans la hiérarchie algérienne, sans être né dans ce pays et n’étant pas musulman, Elaine Mokhtefi explique à La1ere.fr que « ses capacités d’écrivain, d’analyste et de psychologue ont déterminé son incroyable carrière ». « Cela l’a fait accepter comme dirigeant, et il ne faut pas oublier que c’est Fanon qui a façonné la politique africaine de l’Algérie à l’époque », dit-elle. « Il était exemplaire. C’était un révolutionnaire 24h sur 24. »
 

"Mourir pour son pays" 

Jean-Paul Sartre, qui avait écrit la préface des « Damnés de la terre », livre phare du théoricien martiniquais, était « fasciné » par Fanon, ajoute Elaine Mokhtefi. Cet ouvrage, son dernier, « est devenu une lecture obligatoire, le manuel de la révolution pour des générations de militants à travers le monde », qui a inspiré notamment la philosophie politique des Black Panthers américains.  

A son retour à New York en septembre 1960, Elaine Mokhtefi travaille pour le bureau local du GPRA et du Front de libération nationale (FLN), chargés des relations avec les Nations unies. Elle s’initie aux arcanes de la vie diplomatique et fréquente des dirigeants et futurs dirigeants de premier plan. Elle retrouve Frantz Fanon en octobre 1961, atteint de leucémie et très affaibli, à l’hôpital de Bethesda dans le Maryland, pas très loin de Washington, où les médecins tentent un traitement de la dernière chance. Ses camarades algériens, ses « frères » comme il disait, lui manquaient terriblement, rappelle Elaine Mokhtefi. Les soins médicaux échouent. Quelques jours avant sa mort, le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans, Fanon lui confie : « Ce n’est pas une mauvaise chose de mourir pour son pays »...

Elaine Mokhtefi, « Alger, capitale de la révolution, De Fanon aux Black Panthers » - La Fabrique éditions, 279 pages, 15 euros.