"Frères migrants", de Patrick Chamoiseau, "une lueur destinée aux hygiènes de l'esprit"

Patrick Chamoiseau.
Le nouveau livre de l'écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau se penche avec humanisme et générosité sur la question des migrants. Fidèle à sa démarche poétique, l'auteur y esquisse “un autre imaginaire du monde”. 
Au mois de février, Patrick Chamoiseau publiait sur le site de Mediapart une « Déclaration des poètes » en forme d’invite à la résistance devant l’intolérance, le racisme et l’indifférence à l’autre. En ces temps de périls sur notre avenir démocratique, le nouvel ouvrage du romancier qui reprend la « Déclaration » dans sa conclusion, tombe à point. Avec son mentor Édouard Glissant en filigrane, guide spirituel et tutélaire, Chamoiseau aborde la délicate condition des migrants.
 
« Je ne suis pas poète, mais, face à la situation faite aux migrants sur toutes les rives du monde, j’ai imaginé qu’Edouard Glissant m’avait appelé, comme m’ont appelé quelques amies très vigilantes », explique l’auteur dans le texte de présentation de son livre. « Cette déclaration ne saurait agir sur la barbarie des frontières et sur les crimes qui s’y commettent. Elle ne sert qu’à esquisser en nous la voie d’un autre imaginaire du monde. Ce n’est pas grand-chose. C’est juste une lueur destinée aux hygiènes de l’esprit. »
 

Générosité

Empli de générosité et de cette « poétique de la Relation » qui est la marque de son oeuvre, l’auteur fait le constat de notre lâcheté et de nos égoïsmes, interroge sur la nature de notre humanité face aux drames des migrations. « Les frontières de l’Europe s’érigent en de mauves meurtrières. (…) Gouffre de vies noyées, de paupières ouvertes fixes, de plages où des corps arrachés aux abysses vont affoler l’écume », écrit Patrick Chamoiseau. « Quand l’Humain n’est plus identifiable par l’humain, la barbarie est là. »
 
L’ouvrage, bref et visant l’essentiel, est divisé en courts chapitres, empreints de cette lucidité dont sait faire preuve l’écrivain sur les grandes convulsions de l’histoire. Comme dans nombre de ses textes, il ne manque pas d’instruire le procès du capitalisme, du consumérisme et de la marchandisation. L’économie du profit « avale les politiques publiques, asservit les Etats, n’accepte au rouge de son grand œuvre que cette finalité : gagner plus que la veille, croître sans cesse pour accumuler sans cesse », dit l’écrivain martiniquais. « Et pourquoi ? Pas pour atteindre à quelque humaine propriété – un attentif mieux-vivre, un souci du bien-être – non ; pour alimenter une hypertrophie quantitative qui ne concerne qu’elle-même et menace notre survie sur cette planète… ». A méditer en cette période de choix électoraux.   
 

Patrick Chamoiseau, « Frères migrants » - éditions du Seuil, mars 2017, 144 pages. Prix : 12 euros.