Guyane : la rémunération des prêtres entraîne le diocèse vers la faillite

Préparation d'une messe à Mana en Guyane, en juillet 2019
Les comptes de L'Église catholique de Guyane sont dans le rouge depuis qu'elle a dû prendre en charge le salaire des prêtres, jusqu'ici rémunérés par la collectivité territoriale, ce qui l'oblige à se séparer peu à peu de ses biens.

La principale raison de cette situation est un cas unique en France. La Guyane n'est pas soumise à la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'Etat (ce qui est également le cas de l'Alsace-Moselle) mais sous le double coup d'une ordonnance royale de 1828 et d'une loi de 1900, qui imposent que les ministres du culte catholique y soient rémunérés par la collectivité territoriale.            

Cette obligation a fait l'objet de tribulations judiciaires entre 2015 et 2018, la collectivité territoriale de Guyane ayant contesté cette charge devant les tribunaux. La demande a été déboutée par la justice, mais depuis un accord a été trouvé entre la Collectivité et l'évêché. Les nouveaux prêtres sont pris en charge par le diocèse, au fur et à mesure que les anciens partent en retraite ou sont déplacés. La masse salariale ecclésiastique est ainsi transférée peu à peu de la collectivité vers l'Église.

"Les prêtres touchent 1.300 euros par mois"

"Actuellement, il reste une dizaine de prêtres payés par la collectivité", détaille l'évêque de Guyane, Alain Ransay. Son diocèse doit en rétribuer une cinquantaine, une situation nouvelle qui bouscule son modèle économique. "Les prêtres touchent 1.300 euros par mois, sans compter les charges incompressibles comme l'eau et l'électricité", poursuit l'évêque. Cinq laïcs travaillent aussi pour le diocèse.            

La vente récente d'un terrain a permis de ramener le trou de 800.000 à 650.000 euros. "Mais des terrains, il n'y en a presque plus", explique Alain Icaré, chargé de mission pour les finances du diocèse, "ceux qui restent sont dans des zones naturelles et donc invendables, on n'a même pas le droit de toucher une feuille". Une opération financière va être réalisée sur les derniers terrains pour tenter d'équilibrer les comptes : "on n'a pas de marge de manœuvre", déplore le chargé de mission.  

Sortir de l'ornière

Le Covid, qui a forcé les prêtres à laisser les églises fermées, et les a privés du fruit des quêtes auprès des fidèles, a aggravé la situation. Pour sortir de l'ornière, il faudrait que les rentrées d'argent s'élèvent à 3,5 millions d'euros chaque année. Rien que les dépenses salariales frisent le million d'euros : 680.000 pour les prêtres, 180.000 pour les laïcs. "Dans la tête de beaucoup de fidèles, c'est encore la collectivité qui paie les religieux", selon Alain Ransay, qui explique que les dons récoltés lors des quêtes ne sont pas suffisants. "Il ne faut pas donner les petites pièces rouges", tance-t-il.            

L'évêque craint de devoir faire des choix difficiles comme rogner sur l'entretien des églises, ou se séparer des missionnaires, qui représentent la majorité des prêtres en Guyane, et cela l'inquiète. Ces missionnaires, qui viennent de pays africains francophones et d'Haïti, sont rémunérés par le diocèse qui les accueille. "S'il n'y a plus d'argent, il faudra les renvoyer dans leur pays" et cela affectera le maillage du territoire, explique-t-il.            

"Deux ans pour redresser la situation"

Dans le quartier de Cogneau Lamirande, à Matoury, au sud de Cayenne, le projet de nouvelle église risque également de ne pas voir le jour. En attendant, le prêtre dit sa messe dans un collège privé chaque dimanche, les fidèles assis sur les chaises des élèves. Les budgets des années 2020 et 2021 n'ont pas encore été approuvés par le commissaire aux comptes, qui a formulé une pré-alerte.            

Mais ce qu'Alain Ransay redoute le plus, c'est la nomination d'un administrateur judiciaire au-dessus de lui qui viendrait faire des coupes franches dans les dépenses, et entraîner des licenciements. Vu l'état des comptes, "on a deux ans pour redresser la situation", calcule Alain Icaré. Durant ce laps de temps, l'Église catholique de Guyane devra faire des économies drastiques et diversifier ses revenus pour enfin cesser de tirer le diable par la queue.