Guyane : à Trois Sauts, au coeur du territoire, les Amérindiens Wayampi vont voter sans conviction

Amérindiens de Guyane lors d'une manifestation pour la défense de leurs droits, en août 2013 à Cayenne.
A Trois Sauts, petite commune à l'extrême sud-est de la Guyane, les Amérindiens Wayampi n'ont jamais vu le visage des deux finalistes de la présidentielle. Ils n'ont ni télé, ni électricité, ni affiche des candidats. Et s'apprêtent à voter, sans conviction, pour le second tour samedi. 
"C'est difficile de choisir. On ne sait pas pour qui on doit voter", soupire Georges, un jeune adulte Wayampi, l'un des six groupes autochtones de Guyane, dans cette localité uniquement accessible après cinq à douze heures de navigation ou par hélicoptère. "Marine Le Pen, ça ne m'intéresse pas. Je ne la connaissais pas, mais j'ai parlé avec mon père qui m'a expliqué beaucoup de choses sur son père Jean-Marie Le Pen", explique Frédéric, fils d'un des chefs coutumiers, assis sous l'ombre d'un toit en tôle. Pour Marius, 21 ans, qui a quitté l'école avant le brevet, "lorsqu'on vote, après, le président ne pense pas à nous. On ne connaît pas les candidats, et on ne sait pas à quoi ça sert l'élection". Malgré tout, explique un autre homme assis à ses côtés, "samedi, c'est le jour du vote, alors on vote".
 

Aucun moyen d’information

 Comme beaucoup de citoyens de ce périmètre autochtone qui regroupe 84 lieux de vie, en quasi autarcie alimentaire, Frédéric n'a jamais vu le visage des candidats. "On n'a pas vu la photo d'Emmanuel Macron ni de Marine Le Pen, seulement celle de François Fillon", explique ce jeune chasseur-pêcheur, polyglotte. A ses côtés, l'un des chefs est en train de tresser des lianes pour confectionner un porte-manioc. Cette année, en raison de la crise sociale intervenue en Guyane pendant la campagne électorale, les professions de foi des candidats n'ont pas été envoyées. Une seule affiche a pu être amenée par hélicoptère et accrochée devant la petite annexe de la mairie, celle du candidat LR.

L'information parvient difficilement dans cette zone d'accès réglementé : un opérateur mobile dessert la zone mais le réseau est erratique, selon les riverains. Il n'y a pas de télévision, car il n'y a pas d'électricité, et quelques rares groupes électrogènes. Malgré tout, le taux de participation au premier tour (49%) à Trois Sauts fut plus important que dans le reste de la Guyane, où près de deux électeurs sur trois se sont abstenus.
 

"Voter pour le RPR"

Pour le second tour, encadré par un agent de la préfecture, les avis sont très mitigés. "Je n'ai pas envie de voter pour rien", avoue Alban, en short et tee-shirt."Ils ne font rien pour nous, il n'y a ni lumière, ni électricité, on voudrait que le village se développe", retient Georges, regard tourné vers le fleuve Oyapock, qui marque la frontière avec le Brésil. "Pendant le premier tour, il y en a qui étaient à l'abattis (parcelle vivrière) et à la chasse. Ils n'avaient pas le temps, car ils faisaient la galette de couac (manioc)", explique Frédéric.
 
 Au premier tour, Marine Le Pen avait recueilli 3 voix, Emmanuel Macron, 1, sur 350 inscrits. Avec 160 voix, François Fillon a obtenu le meilleur score, juste derrière l'abstention (178), dans cette localité administrée par Joseph Chanel, maire impopulaire proche des Républicains, condamné en 2008 pour "complicité d'orpaillage clandestin". Il avait utilisé un moteur offert par l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy pour transporter des marchandises sur des sites aurifères clandestins. Et en décembre 2016, le parquet de Cayenne a ouvert une enquête financière sur des suspicions de détournement de fonds publics à la mairie. "C'est une dame à la mairie qui a dit qu'il ne faut pas voter pour les socialistes, qu'il faut voter pour le RPR", raconte sous couvert d'anonymat une jeune maman ceinte d'un tissu aux motifs africains. "Il y a un élu de proximité, monsieur Chanel, qui est à droite", confirme à l'AFP Gamal Hooseinbux, secrétaire territorial LR. "Dans des élections où tout le monde se connaît et parle un peu plus, ça permet de tourner l'électorat dans un sens ou l'autre".