Dans la nuit du 19 au 20 janvier 2024, une habitante de Cayenne est réveillée par des cris stridents. À quelques pas de chez elle, trois membres d'une même famille, âgés de 19, 57 et 62 ans, sont assassinés à l'arme blanche. Le tueur prend la fuite et quitte la Guyane. Il sera arrêté deux jours plus tard, en Chine. Ce triple meurtre a bouleversé toute une famille, tout un département. Et ce n'est pas le seul.
Dans les territoires d'Outre-mer, et particulièrement en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique, les taux d'homicides et de tentatives d'homicide sont vertigineux comparé à ceux des départements de l'Hexagone. Le service des statistiques du ministère de l'Intérieur a publié jeudi 25 janvier les données de la période 2016-2022. Il fait état d'un nombre de morts et de tentatives de meurtre beaucoup trop élevé par rapport au nombre d'habitants dans les territoires ultramarins.
Comme à Cayenne la semaine dernière, de nombreux meurtres ont marqué les populations ultramarines. Dans la presse, le recensement des homicides et agressions devient récurrent. On peut citer le cas de cet homme de 30 ans, tué par balles au Robert, en Martinique, le 22 juin 2022, ou encore de cette tentative d'homicide d'une mineure en Guadeloupe, le 13 octobre de la même année.
La Guyane, département le plus criminogène de France
Interrogé par la Délégation sénatoriale aux Outre-mer jeudi 25 janvier, le commandant de la gendarmerie d'Outre-mer, Lionel Lavergne, a indiqué que 30 % des homicides et tentatives d'homicide recensés par la gendarmerie nationale s'étaient déroulés dans les territoires ultramarins l'année dernière, alors que seule 4 % de la population française y vit.
Les territoires ultramarins, c'est 15 % des atteintes aux biens [constatés par la gendarmerie nationale, excluant les infractions et crimes commis en zone police, NDLR]. (...) C'est 25 % des atteintes aux personnes. C'est 10 % des violences intrafamiliales (...). C'est plus de 50 % des vols à mains armés. Un tiers des vols à mains armés par arme à feu constaté par la gendarmerie nationale (...) ont été perpétrés en Guyane. Un tiers des vols à mains armés commis par arme blanche ont été perpétrés à Mayotte. La gendarmerie des Outre-mer, c'est également un quart de la grande criminalité.
Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'Outre-mer, devant les sénateurs
Avec en moyenne 11,8 meurtres et 43,9 tentatives d'homicide pour 100.000 habitants sur la période 2016-2022, la Guyane est le département le plus criminogène de France, comparé à sa population. Il se trouve devant les Antilles, où le trafic de drogue et les règlements de compte font grimper le nombre de victimes d'année en année. Puis arrive Mayotte, où le taux d'homicide est relativement faible (3,7 pour 100.000 habitants) mais le taux de tentatives de meurtre assez élevé (12 pour 100.000).
Dans une étude parue en 2023, Aurélien Langlade et Keltoume Larchet, chercheurs de la Cellule de recherche et d’analyse criminologiques (CRAC), ont analysé les points communs entre les homicides dans certains territoires d'Outre-mer, qui les distinguent des meurtres commis ailleurs en France. Ils notaient qu'en Guyane, Martinique et Guadeloupe, la plupart des assassinats sont liés à des altercations et que l'usage d'armes à feux y est très fréquent. Dans les trois départements de la zone Caraïbe, les homicides surviennent généralement sur la voie publique. Au contraire, à Mayotte, territoire fortement criminogène, et à La Réunion, qui se situe davantage autour de la moyenne nationale, les homicides font aussi suite à une altercation, mais sont majoritairement commis sans fusil.
Les violences ne semblent pas se tarir dans les Outre-mer. Les chercheurs de la CRAC ont tenté d'apporter quelques réponses pour expliquer le phénomène dans les territoires éloignés de l'Hexagone. Parmi les pistes évoquées, il y a d'abord les conditions sociales des Ultramarins, plus sujets à la pauvreté. Il y a aussi la situation démographique et géographique de ces territoires, où est concentré un grand nombre d'habitants. Sans compter la proximité avec des pays eux-mêmes en proie à des violences structurelles au sein de leurs sociétés.