Vingt-cinq ans après ce premier Nobel pour une femme noire, l'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé a reçu un prix Nobel alternatif de littérature en décembre 2018. Au lendemain de la disparition de Toni Morrison, l'autrice des livres Le cœur à rire et à pleurer ou encore Tituba la sorcière a souligné l'engagement de l'écrivaine américaine.
C'est un écrivain qui faisait de son mieux pour vaincre des choses auxquelles moi-même j'étais confrontée. Le racisme, l'ignorance, la relégation dans des domaines trop étroits qui empêchaient l'écrivain de s'exprimer comme il aurait voulu le faire. Je lisais avec intérêt ce qu'elle écrivait.
- Maryse Condé
Maryse Condé, jointe par Julie Straboni :
Maryse Condé sur Toni Morrison
"Elle était d'une lucidité extrêmement fine, extrêmement profonde", a souligné Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux, sur France Inter, rendant hommage aux personnages "complexes", "contradictoires", "admirables" de l'autrice. Des personnages grâce auxquels Toni Morrison "est allée au plus profond de l'humanité, dans l'esclavage, au plus profond, au plus intime, au plus insupportable, au plus inconcevable", sans caricature. "Toni Morrison nous ramène constamment au monde".
Christiane Taubira : "Toni Morrison nous ramène au monde"
La femme politique guyanaise a également remercié l'autrice américaine sur Twitter, pour "l'amour" qu'elle a offert à tous, rendant "capables d'aimer le monde".
Chère Toni Morrison, j’entends encore votre rire sublime quand vous déclarez que personne ne décrit comme vous les scènes d’amour. Et c’est vrai! C’est d’abord ce que vous nous avez offert : un tel amour pour nous-mêmes que vous nous avez rendus capables d’aimer le monde
— Christiane Taubira (@ChTaubira) August 6, 2019
ChT
Un monde de rêves rendus possibles, selon Daniel Picouly. L'écrivain d'origine martiniquaise, interrogé sur France Inter, a expliqué que Toni Morrison avait, en plus de sa "valeur littéraire incontestable", une "valeur symbolique de ces gens qui sont déterminants, qui vous font penser que c'est possible". "Sa surface, son volume, ses personnages ont donné du sens à plein de rêves de gosses de toutes natures, de toutes origines et qui se sentent concernés", a-t-il ajouté.
Daniel Picouly sur Toni Morrison
Combattants de la liberté
Descendante d'une famille d'esclaves, Toni Morrison a beaucoup écrit sur l'esclavage, la traite négrière et la colonisation. C'est d'ailleurs le thème de son roman Beloved (1987), qui lui a valu de recevoir le prix Pulitzer en 1988 et le prix Nobel de littérature en 1993. Deux prix à la renommée internationale pour honorer un ouvrage racontant l'histoire d'une ancienne esclave hantée par le fantôme de sa fille, qu'elle a tuée pour lui permettre d'échapper à une vie d'asservissement. "J'ai un souvenir précis de ma sidération quand j'ai lu Beloved, impossible de s'arracher à ce roman une fois que je l'avais ouvert", confie George Pau-Langevin, députée de Paris née à Pointe-à-Pitre. En 2010, alors adjointe à la culture à la mairie de Paris, elle avait assisté à la cérémonie d'inauguration d'un banc offert par la Toni Morisson Society. Un banc installé rue Delgrès dans le 20ème arrondissements de Paris, "afin de permettre aux combattants pour la liberté de se reposer sur leur route".Regardez le reportage réalisé rue Delgrès Par Caroline Ferrer et François Brauge :
"Il convient maintenant de se poser la question [du vide intellectuel] à l'occasion de la disparition de Toni Morrison", s'est interrogé Georges Brédent, président du mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre. L'autrice y avait été membre d'honneur d'un colloque sur l'impact de l'esclavage sur la psychologie des populations en octobre 2016. Dix ans plus tôt, elle était l'invitée du Musée du Louvre pour une conférence autour du thème "Étranger chez soi". Le musée a rendu hommage, sur Twitter, à "une grande dame" à la "programmation audacieuse".
Le Louvre rend hommage à #ToniMorrison, une grande dame qui a ébloui et bousculé le musée en 2006. Dans le cadre d'une carte blanche, elle proposa une programmation audacieuse autour de son thème de prédilection : "Etranger chez soi". pic.twitter.com/ssdNKK9JGa
— Musée du Louvre (@MuseeLouvre) August 6, 2019
Louis Otvas et Jean-Louis Kerek avaient réalisé un reportage à cette occasion. Regardez :
Écrire l'Histoire
Son travail et son engagement pour ne jamais oublier, pour se découvrir et pour l'égalité, sont des facettes de Toni Morrison que beaucoup veulent garder en mémoire. "Elle connaissait son histoire et nous encourageait à écrire la nôtre !", a déclaré Ary Chalus, président du conseil régional de la Guadeloupe sur Twitter.« If there is a book you want to read,but it hasn’t been written yet, then you must write it.»#ToniMorrison c’était l’élégance et la puissance des mots, l’engagement et la lutte comme principes. Elle connaissait son histoire et nous encourageait à écrire la nôtre! pic.twitter.com/30SsbIG6cW
— Ary CHALUS (@achalus971) August 6, 2019
Du côté de La Réunion, la députée Huguette Bello a lancé sobrement "je l'aimais", saluant "son combat pour la dignité et la liberté des hommes et des femmes".
Je salue la mémoire de Toni MORRISON,son combat pour la dignité et la liberté des hommes et des femmes et surtout des afro-américains dans une Amérique profondément inégalitaire.
— Huguette Bello (@HuguetteBello) August 7, 2019
Femme à la plume engagée, première femme noire détentrice du prix Nobel de Littérature,je l’aimais! pic.twitter.com/1jYQOLmADm
Un combat "dans une Amérique profondément inégalitaire" et une "œuvre pour mettre des mots et des images sur cette réalité des afro-descendants", a noté Béatrice Bellay, première secrétaire de la fédération socialiste de Martinique.
Pas de grand bruit pour Toni Morrison,ici,en France! Pourtant,1grande écrivaine est partie.Son œuvre qui mettra d mots et d images sur cette réalité des Afros-descendants restera et sera toujours là pour rappeler,encore&encore l’atrocité du colonialisme et de la traite négrière https://t.co/9z8VUbSLAb
— Béatrice BELLAY (@BeatriceBellay) August 6, 2019
"Quel précieux cadeau de respirer le même air qu'elle, même pour un temps", a noté Barack Obama, qualifiant Toni Morrison de "trésor national". Le premier président noir des États-Unis avait remis la médaille de la liberté à Toni Morrison en 2012.
Toni Morrison was a national treasure, as good a storyteller, as captivating, in person as she was on the page. Her writing was a beautiful, meaningful challenge to our conscience and our moral imagination. What a gift to breathe the same air as her, if only for a while. pic.twitter.com/JG7Jgu4p9t
— Barack Obama (@BarackObama) August 6, 2019