Huit ans pour décoder l’ADN de la biodiversité marine

Le programme ATLASea ambitionne de créer un atlas de la biodiversité. En multipliant les expéditions, les chercheurs vont séquencer l’ADN de 4 500 espèces, sur les littoraux de l’Hexagone et des Outre-mer.

Chaque année, 2 000 nouvelles espèces marines sont découvertes dans le monde. Plus difficile d’accès, surtout lorsque l’on descend dans les profondeurs, la biodiversité marine est moins bien connue que sa cousine terrestre.

Coquillages, crustacés, poissons, planctons, algues…  Copiloté par le CNRS et le CEA, le programme ATLASea propose de documenter les espèces marines qui vivent au large des littoraux français, dans l’Hexagone comme en Outre-mer. Financé à hauteur de 41,3 millions d’euros sur 8 ans, le projet vise à créer un atlas de la biodiversité marine. Bien loin des bocaux de formol des naturalistes du XIXe siècle, les scientifiques vont décoder l’ADN de milliers d’espèces.

Une biodiversité ultramarine moins connue

"En France métropolitaine, on a environ 13 000 espèces marines connues, qui ont été observées au moins une fois", explique Hugues Roest Crollius, directeur de recherche au CNRS et codirecteur du programme. En tout, les chercheurs séquenceront 4 500 espèces, dont quelques centaines en Outre-mer. "Dans les territoires d’Outre-mer, la biodiversité est moins connue et beaucoup plus abondante, détaille le chercheur. On a réservé environ 600 espèces à séquencer dans les Outre-mer, tout en sachant que ce ne sera que gratter la surface." Des prélèvements ont déjà eu lieu en Nouvelle-Calédonie, d’autres sont prévus en Guadeloupe à partir de septembre puis à Mayotte, à La Réunion et en Polynésie.

Pêche à pied, nettoyage d’un rocher à la brosse, utilisation d’un aspirateur sous l’eau, filets… Parce que la méthode de prélèvements doit s’adapter aux types et à la taille des espèces visées, les scientifiques ont recours à des méthodes multiples. Quand le bateau retourne à terre, des spécialistes prennent en charge les spécimens pour les identifier. Ils sont ensuite congelés à très basse température – presque -200° –  dans de l’azote liquide, ce qui permet de préserver l’ADN. Les échantillons sont enfin envoyés à Évry, en région parisienne, où ils seront stockés jusqu’à être séquencés.

"On va prendre ce qu’on trouve, précise Hugues Roest Crollius. Sur les 13 000 espèces connues aujourd’hui dans l’Hexagone, certaines n’ont été observées qu’une fois il y a 50 ans et on ne les a jamais revues depuis. Dans les huit ans du programme, on est quasiment certains qu’on ne les verra pas." D’autres projets similaires existent par ailleurs à l’international : seront donc exclues du programme les espèces déjà séquencées.

Si ce séquençage génétique massif est aujourd’hui possible, ce n’était pas le cas hier. Le génome de la levure de boulanger a été décodé en 1996. Un travail titanesque qui avait demandé l’association de plus d’une centaine de laboratoires dans le monde. Le décryptage du génome humain a mobilisé plusieurs milliards de dollars et des centaines de personnes pendant des années. Depuis, le coût du séquençage s’est effondré : il faut désormais compter environ 1 000 euros par espèce.

À quoi ça sert ?

L’ADN contient une liste d’instructions qui permet à l’organisme de fonctionner. Séquencer un génome, c’est lire ces instructions. En décryptant l’ADN, les scientifiques peuvent en savoir plus sur les espèces, sur leurs ancêtres communs, sur les caractéristiques qu’elles ont héritées et sur celles qu'elles ont développées par elle-même. Mieux connaître la biodiversité est une arme essentielle pour protéger les populations menacées par des espèces invasives, le réchauffement climatique, des maladies ou les activités humaines.  

Séquencer un génome, c’est lire les instructions qui permettent à l’espèce de fonctionner, de se développer, de former les organes, d’interagir avec son environnement et de gouverner une partie de son comportement.

Hugues Roest Crollius, codirecteur du programme ATLASea.

Le séquençage ouvre également la voie à des innovations technologiques ou industrielles. Certaines espèces produisent des molécules qui empêchent la prolifération des bactéries, d’autres des enzymes qui aident à digérer le plastique, d’autres encore fabriquent des polymères qui, justement, pourraient remplacer le plastique. Pour accéder à ces molécules dites biosourcées, il faut cultiver l’organisme ou le récolter, ce qui fragilise la biodiversité et coûte cher. Avec le génome, les scientifiques disposent de la liste des instructions pour synthétiser la molécule : ils n’ont plus qu’à répliquer la recette en laboratoire.

La mine d’informations récoltées au cours des huit ans du programme sera rendue publique, accessible aux chercheurs et aux curieux.