Il y a 70 ans, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss publiait "Race et histoire", un essai contre le racisme qui allait bouleverser les sciences humaines

Claude Lévi-Strauss dans sa bibliothèque à Paris, en mai 1973, après son élection à l'Académie française
En 1952, à l'invitation de l’Unesco, l’anthropologue et ethnologue français Claude Lévi-Strauss (1908-2009) rédigeait une étude consacrée au problème du racisme dans le monde. Intitulée "Race et histoire", elle allait révolutionner les perceptions et pratiques des sciences humaines.

Sollicitée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), la contribution de Claude Lévi-Strauss à la série de l’institution sur la question du racisme a 70 ans cette année. En cette période électorale où planent et reviennent des idéologies malsaines, il est utile de rappeler la formidable contribution de "Race et histoire" aux sciences humaines d’alors et son actualité aujourd’hui.

En 1952, donc en pleine période coloniale affirmant la supériorité d’une race, l’anthropologue écrit ceci : "Quand on cherche à caractériser les races biologiques par des propriétés psychologiques particulières, on s'écarte autant de la vérité scientifique en les définissant de façon positive que négative". Il remarque par ailleurs que cette "notion purement biologique de race" aurait du mal à "prétendre à l’objectivité, ce que la génétique moderne conteste".

Pour Lévi-Strauss, la question fondamentale est celle de la diversité des milliers de cultures humaines, avec cette première constatation : "La diversité des cultures humaines est, en fait dans le présent, en fait et aussi en droit dans le passé, beaucoup plus grande et plus riche que tout ce que nous sommes destinés à en connaître jamais." Et, c’est là où c’est vertigineux, la diversité existe également au sein de toutes ces cultures, dans chaque société et tous les groupes qui la constituent. Et cette diversification n’est pas statique mais en perpétuelle évolution.

► VIDEO. En mai 1984, Claude Lévi-Strauss proposait sa définition de l’ethnologie dans l’émission "Apostrophes" (archive INA)

Dans son ouvrage, l’auteur aborde le problème de l’ethnocentrisme, en relevant que la diversité culturelle apparaît à certains comme "une sorte de monstruosité ou de scandale". Nous ne résistons pas à l’urgence de reproduire le passage suivant :

L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.

Claude Lévi-Strauss, "Race et histoire"


‘Habitudes de sauvages’, ‘cela n'est pas de chez nous’, ‘on ne devrait pas permettre cela’, etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères", ajoute-t-il.

Dans un autre chapitre, l’Académicien évoque la "place de la civilisation occidentale", constatant son universalisation progressive, avec "ses soldats, ses comptoirs, ses plantations et ses missionnaires dans le monde entier". Visionnaire pour son temps, il questionne : "Le phénomène est en cours, nous n'en connaissons pas encore le résultat. S'achèvera-t-il par une occidentalisation intégrale de la planète avec des variantes, russe ou américaine ? Des formes syncrétiques apparaîtront-elles, comme on en aperçoit la possibilité pour le monde islamique, l'Inde et la Chine ? Ou bien le mouvement de flux touche-t-il déjà à son terme et va-t-il se résorber, le monde occidental étant près de succomber, comme ces monstres préhistoriques, à une expansion physique incompatible avec les mécanismes internes qui assurent son existence ?" L'avenir le dira...