"On vous croit". Dans son rapport publié ce vendredi, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles (Ciivise) appelle à "mettre en évidence le déni dont les violences sexuelles faites aux enfants font l'objet". Pour rappel, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, selon la commission, et 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance. Lors de sa création en 2021, mandatée par Emmanuel Macron, la Commission se voit confier une mission : recueillir la parole des victimes de violences sexuelles pendant leur enfance, pour produire ensuite des recommandations de politique publique.
La commission a recueilli près de 30 000 témoignages, reçus sous différentes formes. Questionnaire en ligne, courriers, auditions individuelles, mais aussi appels téléphoniques et réunions publiques ont été organisés pour convenir au mieux à chaque victime. Les réunions ouvertes à tous se sont tenues dans diverses villes de l'Hexagone, mais aussi à La Réunion (Saint-Pierre et Saint-Denis) et en Martinique (Fort-de-France). L'association martiniquaise SOS Kriz, dédiée à la prévention du suicide, a notamment contribué à recueillir la parole des victimes par téléphone.
Grâce à ces témoignages et des études statistiques, la commission a pu établir une analyse chiffrée qui met en lumière les caractéristiques de ces violences en France. Dans 81% des cas, l'agresseur est un membre de la famille. En moyenne, les violences sexuelles débutent très tôt, à l'âge de huit ans et demi. Dans ce rapport, la Ciivise tient à rappeler que l'image largement répandue de l'agresseur qui opère dans un grand réseau de pédocriminalité ne correspond pas à la réalité. "Les pédocriminels sont des hommes que nous côtoyons dans notre vie quotidienne ", insistent les membres de la commission. Ce sont les pères ( 27%), les frères (19%), les oncles (13%), les amis des parents (8%) ou les voisins de la famille (5%).
En s'appuyant sur ces chiffres, la commission a formulé 82 recommandations de politique publique. En voici les grands axes :
Mieux repérer les victimes
Afin de mieux déceler les enfants qui seraient victimes de violences sexuelles, la commission invite à créer un rendez-vous annuel de dépistage, pour évaluer leur bien-être. Les professionnels de santé doivent mettre en place un questionnement systématique pour repérer les signes de ce type de violence. Certaines situations doivent faire l'objet d'une attention spécifique tels que la grossesse ou les tentatives de suicide.
Améliorer le parcours de soin
Neuf victimes sur dix ont développé un trouble de stress post-traumatique. Les agressions sexuelles ont de nombreuses conséquences comme le développement de troubles physiques et psychiques, ou des conduites à risque. Mais une agression peut aussi impacter la sexualité. Un tiers des victimes a renoncé à toute forme de vie sexuelle. La Ciivise préconise la mise en place d'un parcours de soins spécialisés en psychotraumatisme pour les victimes, et surtout, la prise en charge de ces soins par la Sécurité Sociale.
Modifier le traitement judiciaire
Chaque année, 3% des viols et violences sexuelles commises sur des enfants font l'objet d'une condamnation des agresseurs. Concernant l'inceste, c'est seulement 1% des cas. La Ciivise enjoint le gouvernement à rendre imprescriptible les viols et agressions sexuelles commises sur les enfants. Il est également préconisé que le caractère incestueux des violences sexuelles soit élargi au cousin ou à la cousine, demande revenue à plusieurs reprises lors du recueil de témoignages.
Renforcer la prévention
Pour éviter les récidives, il est indispensable, selon la commission, d'assurer l'efficacité du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infraction sexuelles ou violentes (FIJAISV). Ce fichier détenu par le Ministère de la Justice permet d'identifier auteurs d'infractions sexuelles, et de les localiser plus facilement. Afin de protéger les victimes d'éventuelles récidives, la Ciivise conseille de "renforcer l'efficacité" de cet outil, notamment en facilitant l'accès à ce fichier lors du recrutement pour des activités en contact avec des enfants.
D'abord créée pour cette mission temporaire, la commission indépendante est censée disparaître après la publication de ce rapport. Une décision contestée par ses membres, les associations de victimes et de nombreuses personnalités. De peur que l'attention ne se détourne des violences sexuelles faites aux enfants, la Ciivise appelle le président de la République à la pérenniser, pour "ne pas éteindre la lumière".