Le 26 juin 1988, deux hommes que tout devait opposer, le Caldoche et le Kanak, le catholique et le protestant, l'homme attaché à la France et l'indépendantiste, échangeaient une poignée de main historique. Jacques Lafleur, chef de file des partisans du maintien dans la France, et Jean-Marie Tjibaou, leader des indépendantistes kanak, sont les principaux négociateurs de l’accord de Matignon, signé pour mettre fin aux violences qui endeuillèrent la Nouvelle-Calédonie dans les années 1980.
Trente-cinq ans plus tard, une salle porte désormais leurs noms à l'Assemblée nationale. Si le discours d'inauguration de la présidente de l'institution, Yaël Braun-Pivet, a rendu hommage à deux "artisans de la paix" et à "la diversité" du peuple calédonien, si la petite-fille de Jacques Lafleur, Laurence André-Fazi, a dit son émotion et sa fierté, en pleine session de rencontres bilatérales organisées par le gouvernement sur l'avenir institutionnel du territoire, on ne remarque que les absents.
Deux non-indépendantistes, le FLNKS absent
Les membres de la délégation indépendantiste ne sont pas venus, la famille de Jean-Marie Tjibaou non plus. Prévenus trop tard, les proches du leader kanak, qui avaient demandé un report de la cérémonie, n'ont pas pu faire le déplacement.
Chez les non-indépendantistes aussi, une bonne partie de la délégation manque à l'appel. Pour Virginie Ruffenach, la mise en scène symbolique d'une certaine unité est prématurée alors que, sur le fond, les discussions n'ont toujours pas eu lieu. "On a refusé de participer à cet exercice, non pas que l'on ne reconnaisse pas les deux personnalités qui sont mises à l'honneur, au contraire, mais on ne souhaite pas se prêter à un jeu de photos alors que le vrai sujet c'est 'quand allons-nous enfin nous mettre autour de la table pour discuter ensemble, indépendantistes et non-indépendantistes avec l'État de notre avenir?'", précise la présidente du groupe Avenir en confiance au Congrès de Nouvelle-Calédonie.
"En sommes-nous dignes ? Pour l'instant non"
"Je trouve dommage que, pour une cérémonie de cette importance, où il devrait y avoir une communion de l'ensemble des Calédoniens, indépendamment de leur divergence idéologique, ça n'a pas été le cas", détaille Philippe Gomès (Calédonie ensemble), le seul membre de la délégation non-indépendantiste présent à l'inauguration, avec Phillipe Dunoyer. Ouvertement déçu, il refuse néanmoins de voir en l'absence des uns et des autres un mauvais signe pour la suite des discussions sur l'avenir institutionnel du Caillou. "Il y a toujours des faux pas dans une histoire, c'est très rare que le rythme reste soutenu. On a l'habitude en Nouvelle-Calédonie, c'est un peu notre manière de procéder, c'est comme ça que le pays chemine", avance-t-il.
Très ému, Milakulo Tukumuli, de L'Éveil océanien, parti charnière qui peut faire ou défaire les majorités au Congrès de Nouvelle-Calédonie, regrette lui aussi les absents : "Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur l'avaient compris, il n'y a pas de solutions dans les extrêmes. La solution est au milieu. C'est ce que signifie la poignée de main et l'héritage important qu'ils nous ont laissé. En sommes-nous dignes ? Pour l'instant non. On doit faire en sorte que les choses changent, à nous d'être à la hauteur de cet héritage."