Jean-Claude Naimro : "Les gens se sont approprié notre musique. C'est une forme de consécration"

Jean-Claude Naimro, pianiste et directeur musical de Kassav
À la veille du premier concert à Paris en hommage à Jacob Desvarieux, leader charismatique disparu de Kassav', le pianiste et directeur musical du groupe, Jean-Claude Naimro, revient sur la trace laissée par ce groupe emblématique et son avenir. Il nous livre aussi son regard sur la musique actuelle.

Outre-mer-La 1ère : Jean-Claude Naimro, les 18 et 19 mai, c’est la première fois que Kassav’ se produira à Paris sans Jacob Desvarieux, son leader charismatique disparu en juillet 2021. On imagine que les émotions sont fortes à l’approche de ces deux concerts.

Jean-Claude Naimro : Nous sommes totalement sereins. La tournée a débuté fin 2023 (A Sainte-Lucie, ndlr), nous avons eu le temps de nous roder. Et nous n’avons qu’un seul objectif : rendre hommage à Jacob. Ça sera donc un peu particulier, car pour la première fois, pendant deux heures, Kassav’ ne jouera que des titres de Jacob. Les places du premier concert à Bercy (le 18 Accor Arena) sont parties tellement vite que l’on a décidé d’une nouvelle date (le 19 à l’Adidas Arena). On a choisi l’Adidas Arena, car c’était une nouvelle salle pour nous. Au soir du 19 mai, nous serons sans doute l’un des premiers groupes français à s’être produit dans les salles de spectacles les plus importantes de la capitale. 

Certains ont reproché à Kassav' de prendre toute la place dans l’univers musical antillais. Ce à quoi Fred Deshayes, le leader de Soft a répondu : "Reproche-t-on au reggae et à Bob Marley leur succès ?" Mais s’il fallait tirer un premier bilan de Kassav’, il est de toute façon positif quand on voit comment le zouk s’est implanté un peu partout dans le monde, même dans la chanson française comme avec Aya Nakamura.

Sans oublier l’afro-love comme les Africains ont rebaptisé notre zouk. C’est une première victoire pour nous. Le fait que les gens se soient approprié notre musique constitue une forme de consécration. Ce n’est pas très grave qu’ils ne le clament pas sur les toits. L’avenir mettra l’église au milieu du village. De toute façon, c’est une belle chose que d’autres s’engouffrent dans la brèche entrouverte. Et tant pis pour les jaloux. Je n’oublie pas que quand vous faites quelque chose, vous avez forcément contre vous l’armée de ceux qui ne font rien.

Selon vous, le zouk-love a-t-il fait du mal au zouk ?

Il y a du bon et du mauvais dans le zouk-love. En Afrique, le zouk-love est extrêmement populaire. Mais il ne permet pas de se faire connaitre dans des contrées lointaines. Alors qu’au départ, le zouk que nous pratiquions nous a permis de percer sur toute la planète. Et sur scène, ce n’est pas le zouk-love qui permet de faire la fête, et vous n’en jouez pas pendant deux heures.

À ce propos, que pensez-vous de la musique caribéenne actuelle ?

Depuis quelque temps, les musiques deviennent hybrides. Une première musique en rencontre une deuxième et l’ensemble débouche sur un nouvel univers, bref une troisième musique. C’est ça qui me paraît intéressant. Tout en sachant que la musique reste la combinaison de trois choses : la mélodie, le rythme et l’harmonie. On m’a récemment interrogé sur le shatta (musique dance-hall suggestive). Dans ce genre musical, ce qui m’interpelle n’est pas tant la musique que la pornographie véhiculée par les paroles et la danse. Que va-t-on dire à nos enfants lorsqu’ils répéteront ces paroles ?

Comment expliquer vous le succès de votre musique ?

Quand tu commences à jouer une nouvelle musique, tu n’imagines pas la portée qu’elle aura. Au sein du groupe, chacun des membres possède une telle personnalité, avec des apports musicaux tellement divers, que finalement, nous avons inondé la planète de sons différents. Si le gwo-ka reste la base, on a diversifié la gamme des mélodies. Notre musique est hybride, raison pour laquelle on plaît à tant de monde.

Dans les années 80, quand Jacob Desvarieux et Georges Décimus sont venus vous chercher pour intégrer Kassav', vous avez trainé des pieds. Aujourd’hui, j’imagine que vous ne regrettez pas ?

Oui, quand j’étais gosse, j’étais plutôt solitaire. Je refusais les colonies de vacances. Quand Jacob m’a proposé d’intégrer le groupe, ça ne m’intéressait pas. Je travaillais beaucoup, je gagnais bien ma vie. Finalement, Jacob et Georges ont su trouver les mots pour me garder. Je ne regrette absolument pas ma vie, notre carrière en Afrique, en Amérique latine.

Qui va remplacer Jacob à la guitare ?

Nos îles sont petites. Il nous a fallu chercher. Georges l’a trouvé en la personne de Karim Verger. Il a 26 ans et il nous a prouvé qu’il avait toute sa place parmi nous.  

 

Pour en savoir plus sur Jean-Claude Naimro, retrouver ici ce numéro de #MaParole.