Jean-Claude Naimro : "Sans notre potomitan, Jacob Desvarieux, la maison Kassav' est fragilisée" [#MaParole]

Musicien et compositeur, membre de Kassav’, Jean-Claude Naimro a vécu les belles années du groupe mythique antillais. Après le décès de Jacob Desvarieux, l’un des membres fondateurs, difficile de continuer et de reprendre la scène. Jean-Claude Naimro en témoigne dans #MaParole.

Jean-Claude Naimro nous a donné rendez-vous au Dig studio. C’est là qu’il a ses habitudes. Dans ce studio parisien, il aime enregistrer. Bref c’est son antre. Jean-Claude Naimro n’a pas la grande forme, ni un super morale quand nous le rencontrons. La disparition trop précoce de son ami et camarade Jacob Desvarieux lui a fichu un sacré coup. Quand on lui demande si Kassav’ peut vivre sans Jacob Desvarieux, il répond : "cette question, on me la pose sans arrêt". Il a accepté de nous en parler dans le troisième épisode de #MaParole. Avant cela, nous avons retracé son parcours, de la Martinique à Paris en passant par les Etats-Unis, sans oublier les nombreuses tournées avec Kassav’, mais aussi avec Peter Gabriel.

 

#1 Pianiste en herbe

Jean-Claude Naimro a commencé l’apprentissage du piano quand il était enfant à Fort-de-France. A l’âge de 8 ans, il pianotait à la maison. Puis ses parents lui ont trouvé un professeur en la personne de Madame Eda-Pierre, la mère de la célèbre cantatrice martiniquaise Christiane Eda-Pierre. Elle disait à son père : "Il est doué, mais il ne travaille pas assez", se souvient Jean-Claude Naimro.  

Dans la famille, il n’y avait pas de musiciens. Jean-Claude Naimro a grandi sous l’œil bienveillant, mais sévère, d’un père professeur de français très investi dans l’Education nationale auquel il rend hommage dans #MaParole et d’une mère qui travaillait au Crédit martiniquais. Pour le petit Jean-Claude, le piano est devenu rapidement une obsession. En revanche les études ne l’enthousiasmaient guère. "A l’école pour moi, le meilleur jour, c’était le vendredi", se souvient Jean-Claude Naimro. Au lycée Schoelcher où il a fait toute sa scolarité, il a été dans la même classe qu’Edwy Plenel, le célèbre journaliste aujourd’hui directeur de Mediapart. "Je lui ai rappelé un jour que nous étions ensemble au lycée, ça l’a beaucoup ému", précise le musicien.

Passionné de sport, avec un gros faible pour la formule 1, Jean-Claude Naimro a toujours vénéré Ayrton Senna.  Son autre passion, la musique, il l’a pratiquée dans des groupes comme Les coconuts. Il jouait dans des bals. Et quand il avait un peu de temps, il aimait rester chez lui, tranquille. "Je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup d’amis, dit-il (NDLR On a du mal à la croire) J’aime bien qu’on me fiche la paix. Je suis assez solitaire".

A la fin de sa terminale, c’est sa grande fierté, il a eu la meilleure note en musique, à savoir 20/20, en revanche, il n’a pas eu son Bac. Son père a pris les choses en main. "Il m’a proposé soit de redoubler soit de partir à Paris pour étudier la musique et devenir professeur de collège. J’ai choisi la deuxième solution".

A Paris dans les années 70, le Martiniquais s’est rapidement rendu compte qu’il n’avait aucune envie de devenir professeur de collège et encore moins d’exercer au lycée Schoelcher. "C’était un enterrement". Il avait commencé à jouer dans des groupes et à côtoyer d’autres musiciens. Après ses études, il ne souhaitait pas revenir en Martinique. "Mon père était furieux, mais quand il m’a vu après au Zenith, ça lui est passé".

Jean-Claude Naimro, pianiste, auteur compositeur et interprète du groupe Kassav

 

#2 Michel Fugain et Myriam Makeba 

"A l’époque, je rencontrais beaucoup d’artistes du Gabon, du Sénégal, du Cameroun, des artistes guadeloupéens. J’ai été à Cologne faire des enregistrements en Allemagne. Dans les années 70, tout le monde essayait plein de choses musicalement. Je regrette que cette époque-là n’existe plus", raconte Jean-Claude Naimro. Certes les fins de mois étaient difficiles, mais il adorait cette vie-là.

Grâce à Michel Fugain, chanteur très célèbre dans les années 70, il a pu mettre du beurre dans les épinards. Pendant deux mois et demi, il est parti en tournée avec lui. "C’était une tournée géniale, se souvient Jean-Claude Naimro. On avait chacun notre caravane. On jouait sur un chapiteau. Michel Fugain était vraiment quelqu’un d’extraordinaire".

A cette époque, le pianiste martiniquais a joué avec Eddy Mitchell, Stone et Charden, Henri Guédon puis il a fait la rencontre de Manu Dibango qu’il a accompagné pendant trois ans. Jean-Claude Naimro a aussi passé une année incroyable aux Etats-Unis. Il devait enregistrer un disque qui n’a jamais vu le jour, mais il a vécu royalement à Los Angeles, "aux frais d’une comtesse italienne richissime" qui finançait le projet de disque. Grâce à un copain musicien qui avait pour petite amie une choriste d’Aretha Franklin, Jean-Claude Naimro s’est retrouvé invité à l’anniversaire de Steevie Wonder. Il a aussi rencontré Mohammed Ali, son idole.

De retour à Paris, il est "redescendu sur terre", comme il s’amuse à le dire. Il a accompagné Céline Dion, alors adolescente pour deux titres en première partie à l’Olympia et se souvient "d'une voix impréssionante". Puis il a fait la connaissance de Myriam Makeba, la célebrissime chanteuse d’Afrique du Sud qui militait activement contre la fin de l’Apartheid dans son pays. En 1983, il a accompagné "cette femme djok comme on dit en Martinique" en tournée en Afrique. Un grand et beau souvenir.

 

#3 Kassav' sans Jacob

C’est en 1982 que Jean-Claude Naimro a rejoint Kassav’ le groupe fondé par Jacob Desvarieux et les frères Décimus. Il a remplacé au pied levé le clavier de l’époque pour une tournée prévue à La Réunion et il n’est jamais parti. Avec Kassav’, il a fait le tour du monde. Il a connu les grands moments du groupe. Le premier concert au Zenith, la première tournée en Afrique, le stade de France, les 30 ans, les 40 ans. Une épopée qui vient de prendre un sévère coup d’arrêt avec le décès de Jacob Desvarieux le 30 juillet 2021. Dans #MaParole, Jean-Claude Naimro rend hommage "à celui qui a réussi la performance de maintenir et de fédérer Kassav’".

Avec Kassav’, il y a eu des hauts et des bas. Jean-Claude Naimro a eu parfois du mal à composer avec le fait de voyager en groupe, de passer des heures en avion, de devoir assister à des cérémonies sans fin. Mais à aucun moment, le pianiste martiniquais n’a envisagé sérieusement de quitter Kassav’. Il a composé l’un des gros tubes du groupe, Kolé Séré, qu’il a interprété en duo avec Jocelyne Berouard. Dans #MaParole, il raconte la genèse de cette chanson que Philippe Lavil a chanté avec succès.

Chaque membre du groupe avait la possibilité d’enregistrer son album en solo. Une bulle d’oxygéne qui a permis à Kassav’ de rester soudé. En 1993, Jean-Claude Naimro s’est autorisé une pause en allant rejoindre son ami batteur Manu Katché dans la tournée mondiale de Peter Gabriel. Avec cette grande vedette internationale, l’expérience a été inoubliable pour le musicien martiniquais.

Quant à Kassav’, le groupe peut-il continuer à vivre sans Jacob Desvarieux ? "Francois Pinard, le manager du groupe y réfléchit. On ne sait pas", répond Jean-Claude Naimro. "Sans notre potomitan Jacob Desvarieux, la maison Kassav' est fragilisée", conclut le pianiste.

Jean-Claude Naimro a resorti début juillet 2021 en version digitale l'album Digital Dream dans lequel il reprend un titre qu’il avait composé avec Gilles Floro dans une version inédite. Pour Bel pawol pou en famn, il a fait appel à Riddla (en photo ci-dessus). Il s’en explique dans #MaParole.

A la prise de son : Olivier Canneval

Cette interview a été enregistrée à Paris au Dig studio le 30 octobre 2021.

Pour retrouver tous les épisodes de #MaParole, cliquez ici.  

 

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♦♦ Jean-Claude Naimro en 5 dates ♦♦♦

4 août 1951

Naissance à Saint-Pierre de la Martinique

1980

Rencontre avec Myriam Makeba

1982

Entrée dans le groupe Kassav'

►1986

Compose Kolé Séré

►Juillet 2021

Sortie digitale de l'album Bel pawol pou en famn