Il peut paraître étrange qu'un valide remporte une médaille aux Jeux Paralympiques. Pourtant, les sprinteurs chargés de guider les athlètes non-voyants ont un rôle crucial pour permettre à leur coéquipier de franchir la ligne d'arrivée. Et eux aussi n'ont pas le choix : il faut foncer pour gagner. Jeffrey Lami fait partie de ceux-là. Dimanche 1ᵉʳ septembre, devant un Stade de France en folie, le coureur antillais a mené Timothée Adolphe, déficient visuel depuis sa naissance, vers le podium du 400 mètres T11. Ils finissent deuxièmes. Une première aux Jeux pour le duo. Le Vénézuélien Enderson German Santos Gonzalez et son guide Eubrig Jose Maza Caraballo ont battu leur record personnel et remporté la finale en 50"58.
La remise des médailles ne s'est néanmoins pas encore tenue car le staff de l'équipe de France a déposé une réclamation, estimant que le guide vénézuélien a tiré son coéquipier sur les 100 derniers mètres qui les ont menés à la victoire. Ce qui est formellement interdit. Les instances dirigeantes ont néanmoins rejeté le recours, tard dimanche soir. Timothée Adolphe et Jeffrey Lami recevront leur médaille d'argent lundi matin.
Les deux Français ont fait un parcours sans faute depuis leur entrée en lice dans ces Jeux Paralympiques de Paris, samedi. Meilleur temps des séries (51"39), meilleur temps des demi-finales (50"87). En finale, la paire s'est envolée sur la piste violette du stade, faisant lever des centaines de drapeaux bleu-blanc-rouge lorsqu'ils sont passés devant les tribunes. 50"75 après le début de leur course, ils franchissent la ligne d'arrivée. La victoire leur échappe de peu, dépassés dans les dernières secondes de la course. Mais la deuxième place est quand même belle.
La finale du 400 mètres a été douloureuse. C'est la troisième course que Timothée Adolphe et Jeffrey Lami courent en deux jours. Un rythme infernal, même pour des sportifs de haut-niveau. "Un 400, ça détruit un homme", disait, toujours essoufflé, Timothée Adolphe juste après sa demi-finale samedi, citant le célèbre coach François Pépin, qui fut entraîneur de Marie-José Pérec. "Je vous laisse imaginer ce que ça fait deux dans la journée", poursuivait-il, alors qu'il avait couru le premier tour le matin même. "Même les valides aux Jeux, ils avaient 48 heures de repos", souligne Jeffrey Lami.
Le "Guépard blanc" et son guide
La médaille d'argent est donc d'autant plus belle et méritée. Et elle vient balayer la terrible faute qui leur avait coûté les Jeux de Tokyo. En 2021, lors de leur première course, leur lien s'était brisé. Une erreur éliminatoire aux Jeux Paralympiques.
Timothée Adolphe, surnommé le "Guépard blanc", est une star du para athlétisme français depuis une dizaine d'années maintenant. Malvoyant de naissance, il a complètement perdu la vue dans son enfance. Mais cela ne l'empêche pas de fouler les pistes de course. Dès 2013, il décroche le bronze sur 400 m aux championnats du monde de Lyon. L'année suivante, le Versaillais s'empare de l'or aux championnats d'Europe sur le 200 m et le 400 m. Qualifié aux Jeux Paralympiques de Rio (2016), il en ressort bredouille. En rentrant en France, il change de guide. Il fait alors appel à Jeffrey Lami sur la distance du 400 m.
L'Antillais, qui est alors un grand espoir du sprint français, quitte les pistes solos pour se consacrer au para sport, avec Timothée. Après deux années de travail, les deux coureurs trouvent leur symbiose sportive. En 2019, ils décrochent leur première médaille commune (qui plus est en or) aux Mondiaux de Dubaï. Puis, en 2021, ils sont sacrés champions d'Europe sur leur distance fétiche en Pologne. Un an avant les Jeux de Paris, la paire française décrochait une nouvelle médaille (en bronze cette fois-ci) aux championnats du monde, qui se tenaient à Paris.
Dans l'enceinte du Stade de France, leur deuxième place vient les contenter dans leur travail. Après l'or mondial et européen, les deux coéquipiers peuvent enfin savourer le titre de vice-champions paralympiques qui manquait à leur palmarès international, même si l'on sait qu'ils étaient venus chercher l'or.