Il a suffi d'un déclic. Insoupçonné, après quasiment deux ans de doute. "J'enchaînais les petites blessures, les Jeux approchaient et je me demandais si j'avais seulement une chance d'y aller." Au sortir de l'hiver, Tété (comme il est surnommé au CREPS de Strasbourg) ne ressent pourtant plus la moindre douleur physique. Reste que techniquement, le Polynésien connaît une phase compliquée. Le spleen du lanceur. "J'en ai parlé à mon ostéopathe qui a m'a alors confié à un autre ostéo sur Strasbourg. Il pratiquait la méthode Allyane." Deux séances suffiront. Sans manipulation, juste avec un travail d'imagerie mentale. "Pour tout vous dire, je n'y croyais pas vraiment. Sauf que dans la foulée, les trajectoires, les sensations, le feeling, tout est revenu. Dès la fin de la séance, mon épaule droite était complètement débloquée ! Un gros déclic technique." Bientôt suivi par un exploit hors norme…
Le hold-up de Fontainebleau
17 mai 2024. Meeting de Fontainebleau. L'athlète Tupaia change de dimension. Et il le sentait déjà, bien avant le début de la compétition. "Dans la chambre d'hôtel, j'ai passé mon temps à dire à mon coéquipier : ce soir, minima olympiques ! Je savais que quelque chose allait se passer." Le premier lancer est mordu, pas le second. "Je m'élance et là, je vois le javelot planer, planer, planer… Je comprends que le record de France va y passer. Mais de là à réaliser 86 mètres 11…" Après un hiver décevant, Tété renaît au printemps. "Dans ma tête, les émotions se démultiplient : record de France, minima olympiques, j'ai mon billet pour les Jeux !"
La performance de Fontainebleau n'est pas une finalité. Juste le début d'une nouvelle aventure. Tété aura bien son rond de serviette au village olympique de Paris 2024. "Ça veut dire que tous les sacrifices ont payé. En tout, nous serons trois. Trois Polynésiens aux JO de Paris. Une surfeuse, un surfeur et moi. Je suis fier de représenter ma petite île, même si je concours sous les couleurs de la France. Je sais d'où je viens."
Un casse au Stade de France ?
Le nouveau boss du javelot tricolore ne risque pas de se prendre les pieds dans le tapis de la pression. Ces Jeux à la maison ne l'effraient pas le moins du monde. "Au contraire ! Je n'ai qu'une hâte, c'est d'être au Stade de France. À l'entraînement, je ne dépasse jamais les 75 mètres. Alors que la compétition me galvanise." Qui plus est dans une enceinte pleine à craquer. "C'est le petit truc qui m'a manqué à Rome lors des derniers championnats d'Europe. J'aime ressentir l'énergie du public. Savoir qu'il y a du monde derrière moi pour faire la claque. Ça me transcende."
Se transcender pour faire un coup. Un joli petit casse olympique. Teuraiterai Tupaia le prépare méticuleusement. "Je pars avec la même mentalité qu'aux championnats d'Europe. Tu passes les qualifs et ensuite, tu t'amuses ! Mais quand je parle de m'amuser, ça veut dire que j'ai envie de tous les bouffer en finale." Carrément ? Une médaille ? "Et pourquoi pas ? Un podium est clairement réaliste. Il suffit d'un jet, un seul."
La Polynésie dans le cœur
Aucune pression chez Tété. Seule la dimension XXL de la compétition olympique le dépasse un peu. "Surtout que je vais découvrir mes premiers Jeux… Waouh… Heureusement, ma famille sera là pour m'encourager : mon frère, ma belle-sœur et leurs enfants viennent d'arriver. Quant à mes parents, ils nous rejoignent début août. Je ne les ai pas vus depuis un an." Les retrouvailles avec maman et papa Tupaia s'annoncent riches en émotions. Le petit s'est mué en champion. "Mes parents ne sont pas des gens qui expriment leurs sentiments. Mais je sais que mon père est très fier de tout ce qui m'arrive. Il sera présent dans le stade olympique. Un beau cadeau pour lui, comme pour moi."
Depuis cinq ans maintenant, Teuraiterai Tupaia s'entraîne au CREPS de Strasbourg. Le duo qu'il forme avec Jacques Danail, son entraîneur fonctionne à merveille. La preuve : voilà vingt ans que la France n'avait plus envoyé de lanceur de javelot aux Jeux. Tété veut profiter de ce nouveau statut d'Olympien pour donner des envies aux jeunes polynésiens. "Je pense notamment à mon petit frère qui a 17 ans. J'ai envie de transmettre tout ce en quoi je crois. Si tu as des rêves, il faut aller au bout. Si tu veux, tu peux."