Journée mondiale des océans : faut-il considérer l’Océan comme une personne morale ?

À l’occasion de la Journée mondiale des océans, Outre-mer la 1ère s’est intéressée au statut juridique que pourrait obtenir l’Océan à travers le monde. Dans certains coins du globe, la nature possède des droits spécifiques et est considérée moralement comme une personne.

Et si demain, l’Océan dans son entièreté possédait des droits ? Le droit de ne pas être pollué en fixant une limite précise, le droit de ne pas être exploité par la surpêche, ou encore pour l'exfiltration des énergies marines. Le droit aussi de pérenniser son écosystème, pour maintenir, en quelque sorte, sa souveraineté naturelle. Pour certains défenseurs de la planète bleue, cette idée est réalisable.  

L’Océan se définit généralement comme une grande étendue d’eau salée comprise entre deux continents. L’océan mondial, abritant la majorité des espèces vivantes sur Terre, produit plus de 60% des services écologiques qui nous permettent de vivre, à commencer par une grande partie de l’oxygène que nous respirons. En 1982, la Convention de Montego Bay relative au droit de la mer pose un cadre de protection international et fixe un statut spécifique à l’espace maritime en délimitant plusieurs zones : 

  • Les côtes et les zones de mer territoriale 
  • Les zones économiques exclusives (ZEE)  
  • La haute-mer ou le plateau continental 

Les zones maritimes du droit international de la mer

Alors, une question se pose : peut-on réguler juridiquement l’entièreté de l’Océan afin de lui octroyer des droits comme une personne morale ? Le challenge semble improbable à l’échelle mondiale, mais localement, certains pays ont déjà relevé le défi.    

"En Nouvelle-Zélande, la rivière Whanganui a une personnalité morale"

C’est le cas de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde, qui ont conféré à des fleuves et même à des glaciers le statut de personne morale. En Équateur, une Constitution datant de 2008 reconnait la Nature non pas comme un objet exploitable, mais comme un sujet de droit à part entière. "En Nouvelle-Zélande, la rivière Whanganui a une personnalité morale", évoque Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris et vice-président du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la Nature (UICN). "Au niveau juridique, il y a une co-tutelle entre les autorités locales et la communauté autochtone de Nouvelle-Zélande. Cela permet à l’écosystème d’agir en justice pour défendre son droit à avoir un fonctionnement sain", explique l’avocat. 

En France, le droit de la nature, et plus particulièrement de l'Océan, est encore timide.

Il n’y a pas de reconnaissance explicite, mais une volonté d’aller dans ce sens, notamment avec les aires marines protégées.

Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris et vice-président de l'UICN France

Les aires marines protégées, zones délimitées où la biodiversité doit être conservée, sont pourtant nombreuses dans le Pacifique. Le président de la Polynésie française, Edouard Fritch, a d’ailleurs annoncé la création d’une nouvelle aire marine de 500.000 km2, en place d'ici à 2030.  

Edouard Fritch

À l’échelle locale donc, il est possible d’agir en conséquence et d’octroyer en quelque sorte à un océan le droit d’être préservé. "Chaque juridiction nationale a des compétences qui leur sont propres. Elles relèvent de l’état côtier", ajoute Sébastien Mabile.   

"Pour l'Océan, comment le déterminer ?"

Pour d’autres, la question de donner une personnalité morale à l’Océan est insensée. "Est-ce que l’air pourrait avoir une personnalité juridique ? Je ne le crois pas, et pour l'Océan, je ne vois pas comment nous pourrions faire", lance Frédéric Moncany De Saint-Aignan, président du Cluster maritime français (CMF) qui œuvre autour du développement durable des activités en mer.

Pour lui, le projet est trop ambitieux : "Je suis d’accord avec le fonctionnement de protection juridique à l’échelle régionale, mais pour l’Océan, comment le déterminer ? Avec quelle juridiction ? Enfin, je veux dire, il y en a partout !"

Pour le président du CMF, la Convention de Montego Bay réprime "solidement" les infractions en ZEE : "La réglementation est à un niveau de capacité très fort en termes de condamnations et de réparations en ZEE. Pour ce qui est de la haute-mer, un amendement est en cours depuis trois ans qui devrait instaurer une réglementation plus stricte", conclut-il. Actuellement, la haute-mer n’est pas soumise à la Convention de 1982. Cette zone serait même "une zone de non-droit" selon l'avocat Sébastien Mabile.

A contrario, Claire Nouvian, fondatrice de l’association Bloom qui lutte contre la destruction de l’Océan et des pêcheurs, ne mâche pas ses mots : "Il faut donner un droit à l’Océan pour défendre cette entité et mettre fin au massacre !"  

"Il faudrait un statut juridique"

Pour la défenseuse des océans, l’avenir passe par la mise en place d’une contrainte juridique : "Je ne vois pas comment on peut sortir de notre rapport maladif à l’Océan autrement qu’en envisageant cette possibilité. On n’y est pas encore, mais il faudrait un statut juridique." Claire Nouvian pense avant tout que c’est une question de "valeurs de société" et que le droit doit "bouger".   

Ce serait un outil tellement puissant pour déjouer les stratégies frauduleuses

Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom

Entre principe de réalité et idéal, les avis sont partagés. Sébastien Mabile souligne que le fait de donner une personnalité morale à l’Océan ne serait pas forcément la solution d’un point de vue juridique : "Je pense qu’il faut d’abord conférer des moyens aux associations compétentes plutôt que de créer de nouvelles infrastructures judiciaires. Le cadre juridique est internationalisé et très complexe, ce qui complique l’avancée de ce droit", déduit l’avocat. 

Et pour agir face à ce que l'association BLOOM dénonce comme une inaction gouvernementale, une "Charte Océan" a été rédigée par l'ONG qui interpelle les candidats aux élections législatives sur dix engagements jugés prioritaires dans la santé de l’Océan et de la petite pêche artisanale.