Manque structurel de moyens ou erreurs individuelles ? L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a été mise en examen le 3 mars pour "homicide involontaire" après le décès mi-décembre 2018 aux urgences de Lariboisière d'une patiente de 55 ans, retrouvée morte sur un brancard.
Il est reproché à l'AP-HP, selon des éléments obtenus par l'AFP, de n'avoir pas "adapté l'organisation, les locaux et les effectifs des personnels aux besoins du service des urgences de l'hôpital Lariboisière (...) avec pour conséquences le décès de la patiente", Micheline Myrtil, une patiente d'origine martiniquaise. Cette mise en examen ouvre la voie à un possible procès.
Pour l'avocat de la famille, Me Eddy Arneton, "c'est une véritable avancée" dans cette affaire. "La responsabilité de l'AP-HP est pleinement engagée, et je m'étonne de la voir se défendre en se déchargeant sur son personnel qui dénonçait déjà à l'époque des manques de moyens".
"Double-faute"
Lors de son interrogatoire devant un juge d'instruction parisien, la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP, représentant l'institution, a estimé que le décès de Micheline Myrtil était "dû à une double faute à l'enregistrement et à la vérification d'identité" de la patiente à son accueil, une procédure selon elle "extrêmement stricte et balisée".
Cette représentante a, en revanche, "contesté le caractère inadapté des locaux ainsi que l'insuffisance des moyens humains affectés au service des urgences", une situation pourtant présentée comme "récurrente et connue de l'administration de l'établissement" par les juges. Contacté, l'avocat de l'AP-HP Me Mario Stasi a refusé de commenter pour le moment.
Interrogé par Gervais Nitcheu journaliste à Outre-mer la 1ère, Me Eddy Arneton, l'avocat de la famille répond qu'"aujourd’hui l’AP-HP tente de se défausser sur son personnel en essayant de pointer du doigt quelque responsabilité individuelle, quelque faute individuelle. Mais cela ne pourra tenir car nous entendons aller jusqu’au bout de cette affaire, c’est-à-dire obtenir un renvoi devant une juridiction afin qu’il y ait une audience de jugement et que cet hôpital soit condamné."
Réaction de Me Eddy Arneton
"Manque de moyens"
Micheline Myrtil, alors âgée de 55 ans, avait été retrouvée morte dans la nuit du 17 au 18 décembre 2018 sur un brancard près de 12 heures après son admission aux urgences de l'hôpital Lariboisière. Sa famille avait rapidement dénoncé une prise en charge défaillante.
Un premier rapport d'autopsie avait établi que la patiente était morte "d'une défaillance respiratoire aiguë secondaire à un oedème pulmonaire". Au terme d'une enquête interne, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France avaient reconnu une "série de dysfonctionnements", comme la "surveillance" défaillante de la patiente, son "identification" erronée ou encore un "délai de prise en charge très important".
Souffrant de céphalées et de douleurs aux mollets, la patiente avait été déposée aux urgences de Lariboisière par les pompiers en fin d'après-midi, le 17 décembre, puis reçue et orientée vers une salle d'attente par une infirmière.
Micheline Myrtil a ensuite fait l'objet, selon les juges, d'un "délai de prise en charge très important", soit "plus de cinq heures avant le premier appel pour examen médical", un délai contesté par l'AP-HP qui explique que la patiente "a été vue à plusieurs reprises entre 19h00 et 21h00".
Appelée sous une mauvaise identité ("Myatil" au lieu de "Myrtil"), elle n'a jamais répondu, puis a été considérée comme en fugue avant d'être retrouvée morte tôt le matin du 18 décembre. Le décès de la patiente avait alimenté le débat chronique sur la crise du monde hospitalier.
Pour Me Eddy Arneton, le constat est clair: "le décès de Madame Myrtil est à mon sens imputable à l’AP-HP et l’AP-HP a commis cette infraction qui est appelée l’homicide involontaire."
Réaction de Me Eddy Arneton
Un drame sur fond de crise de l'hôpital
Au-delà du cas de Lariboisière, le rapport de l'AP-HP et de l'ARS avait appelé à une "réflexion nationale sur la définition de normes relatives aux moyens nécessaires" dans les services d'urgences, tandis que les cinq principaux syndicats de l'AP-HP (CGT, Sud, FO, CFDT, CFTC) avaient déploré "qu'il ait fallu ce drame pour que la direction s'engage enfin sur les réponses à apporter aux situations de crise subies et dénoncées".
Quatorze chefs de service hospitaliers avaient demandé dans une tribune un grand plan en faveur des urgences. Et avant même que le monde hospitalier ne soit secoué par la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, le personnel soignant avait fait grève et manifesté une année durant, dénonçant notamment les fermetures de lits et le manque de moyens.