Lorsqu'il met fin à sa carrière, Ulrich Robeiri a 33 ans. Champion du monde en individuel. Champion olympique par équipe. Avec son épée, le Guyanais a tout gagné. Ou presque. Aujourd'hui, il ne touche plus à son arme. Mais s'investit dans sa Fédération pour faire bouger les lignes.
Il fut un temps. Pas si lointain. Où l'escrime française était composée en quasi-totalité de tireurs ultramarins. Notamment à l'épée. Surtout à l'épée. Des championnes illustres ? Laura Flessel, Maureen Nisima, Sarah Daninthe… Des champions de renom ? Fabrice et Jérôme Jeannet, Jean-Michel Lucenay, Ulrich Robeiri...
Dans cette belle et longue liste, Ulrich est l'unique Guyanais. Il fut de toutes les campagnes victorieuses par équipe : le sacre olympique en 2008 à Pékin, six médailles d'or mondiales entre 2005 et 2014. Puis le fidèle partenaire a fini par devenir aussi un leader en individuel : champion du monde en 2014 à Kazan en Russie. Graal atteint à 31 ans. Deux ans plus tard, l'épéiste tirait sa révérence et rangeait définitivement son arme. Sans pour autant s'éloigner d'un monde qu'il avait su si bien dominer.
Un champion du monde à la RATP
L'escrime n'est pas le football ou le basket sauce NBA. Les salaires mirobolants, les demeures incroyables et les voitures de sport ne font pas partie de l'univers d'un épéiste. L'escrime cultive le mot amateur dans tout ce qu'il a de plus noble. Même Ulrich Robeiri, l'un des palmarès français les plus riches, a dû très vite réfléchir à son avenir, le préparer. En 2010, l'ingénieur en électronique et informatique a l'opportunité de rejoindre la RATP. Il fonce : "J'avais la chance à l'époque d'avoir des horaires aménagés me permettant de travailler et de m'entraîner. Désormais, je suis à temps plein. Ça me plaît toujours autant. J'évolue dans une équipe de grande qualité. Notre département est basé à Noisy-le-Grand. Ou devrais-je dire 'était' car avec la Covid-19…"
Comme nombre de salariés français, Ulrich Robeiri a découvert le télétravail à partir de mars 2020. L'accalmie sanitaire de l'été lui a permis de revenir sur site. Joie de courte durée pour le maître d'œuvre informatique. Depuis octobre dernier, le Guyanais travaille de nouveau à la maison. "À la longue, c'est assez particulier. Usant mentalement. Le manque de contact direct se révèle pesant. Pour alléger un peu l'atmosphère, j'organise des séances de sport en visioconférence avec les collègues. Ça crée un lien différent."
Dans l'univers sportif qui fut jadis celui d'Ulrich, la fermeture des stades n'a duré que le temps du premier confinement. À l'INSEP, les escrimeurs de l'équipe de France peuvent s'entraîner normalement, mais sans compétitions, aucune. Interdiction sanitaire. Il faut être costaud mentalement pour tenir le coup. "L'idée est de faire abstraction du contexte, confirme Ulrich. Si j'étais encore athlète aujourd'hui, j'essaierais de me fixer des objectifs. J'ai cette faculté. Me concentrer sur des points précis à améliorer. Ne penser qu'à ça. Et tâcher d'oublier le reste."
Il a arrêté l'escrime, mais pas le sport
Le grand public ne s'en rend pas compte. Le grand public ne le sait pas. Le sport de haut niveau use avant toute chose… le mental des champions. En 2016 lorsqu'il met un terme à sa carrière, Ulrich Robeiri n'a aucun souci physique. En revanche, sa tête lui réclame d'urgence de passer à autre chose. Depuis lors, il n'a jamais retouché à une épée. "Mentalement, c'était une exigence de tous les instants. La recherche de performance passait avant tout. Matin, midi, soir. Tout le temps ! M'arrêter a été un vrai soulagement. La tension a disparu. Même si je prends toujours beaucoup de plaisir à revoir mes amis de l'époque."
N'allez pas croire cependant que le Guyanais ait tourné Elvis Presley version seventies depuis l'arrêt de sa carrière sportive. À 38 ans, il porte toujours beau. Car s'il ne pratique plus l'escrime, Ulrich fait beaucoup d'autres activités sportives. "C'est bien simple : je ne sais pas vivre sans sport. Je ne peux pas dormir si je n'ai pas ma dose régulière. Alors quatre à cinq fois par semaine, j'alterne running, salle de musculation, boxe anglaise et du foot le dimanche. Malheureusement avec la Covid-19 et la fermeture des salles, ça complique un peu les choses." Mais sur la balance, Ulrich affiche 88 kilos pour 1 mètre 90. Un physique de top model.
Un Robeiri qui fait toujours beaucoup de sport. Un Robeiri expérimenté. D'ailleurs, s'il ne pratique plus l'épée, pourquoi n'a-t-il jamais envisagé d'entraîner ? "Devenir maître d'armes, vous voulez dire ? Non, c'est un rôle à la fois trop vaste et trop solitaire. En revanche, devenir un manager général à l'image du football, là c'est autre chose. Prenez l'exemple de l'Allemand Yurgen Klopp à Liverpool en Angleterre. C'est passionnant. Il est entouré par des préparateurs physiques, des psychologues, un staff médical… Toute une équipe au service de l'équipe. Klopp devient alors un chef d'orchestre et peut se concentrer sur ses choix tactiques. Ce rôle-là m'intéresserait, mais l'escrime n'a définitivement pas les moyens du foot."
Au service de sa Fédération
S'il n'a plus touché son épée depuis près de cinq ans, Ulrich n'a pas coupé avec l'escrime tricolore. Le Guyanais est ainsi resté très proche de son club de Levallois. Et depuis peu, il a intégré la Commission épée de la Fédération française. Tout en devenant référent de l'équipe de France junior. "J'aime cette idée de rester au contact des athlètes, les conseiller, échanger. Fabrice Jeannet et Jean-Michel Lucenay ont également rejoint la Commission. On a vécu de belles choses ensemble. On s'est plantés aussi parfois. L'idée est d'essayer d'éviter aux autres de refaire les mêmes erreurs."
Malheureusement la commission ne pourra rien contre la pandémie qui touche la planète depuis un an maintenant. Situation sanitaire alarmante. Et conséquences économiques dramatiques pour de petites fédérations comme celle d'escrime. "C'est un vrai drame, reconnaît Ulrich. Beaucoup d'escrimeurs amateurs n'ont pas renouvelé leur licence. L'escrime, ce n'est pas que le haut niveau. Combien de petits clubs vont pouvoir survivre ? Il ne faudrait pas que la chute des adhérents nous soit fatale."
Pour gagner des licenciés, la Fédération française compte généralement sur les Jeux Olympiques, moment unique tous les quatre ans qui met ce sport à l'honneur dans les médias. Et qui donne ensuite des idées, des envies aux nouveaux pratiquants. Sauf que les JO de Tokyo même repoussés d'un an, semblent toujours menacés. "L'annulation des Jeux ? Ce ne serait que la continuité de tout ce qu'on a vécu depuis douze mois, tempère Ulrich Robeiri. Aujourd'hui, toutes les compétitions d'escrime sont à l'arrêt. Nous sommes un peu préparés à l'annulation pure et simple du rendez-vous nippon. Si les JO ont finalement lieu, il faudra prendre ça comme un bonus. Avant de repartir sur des bases que j'espère enfin saines."